Connaissance

Ils étaient assis sur un des bancs disposés le long des bords de la cour d'entraînement. Deux ou trois paires d'adversaires s'entraînaient. Ils les observaient en silence.

"Je me demandais, Maître...
- Oui ? Il connaissait déjà la question.
- Pourquoi Maître P. a acquis la réputation d'être le meilleur combattant de notre Cercle alors que la plupart des Maîtres me semble meilleurs que lui ?
Le Maître sourit de toutes ses dents. L'élève se sentit obligé de justifier son propos.
- Je veux dire : du point de vue force physique, il n'est pas impressionnant, loin de là. Puis, il n'est pas spécialement rapide non plus. Et sa technique, quoique excellente, n'est pas non plus hors du commun. La plupart des Maîtres dont vous, Maître, ont une technique tout aussi bonne, voire meilleure. Alors pourquoi cette réputation ?
Le Maître, bien qu'il n'en laissa rien paraître, fût un tantinet déçu par la superficialité des réflexions de son élève. Mais la faute ne revient jamais à l'élève. Elle revient au Maître qui n'a pas su le guider. Il se cala aussi confortablement possible contre le dossier du banc, ferma les yeux, et profita de la chaleur de ce soleil de fin de matinée.

"As-tu déjà combattu contre lui ?
- Ça m'est arrivé, quelque fois.
- Te considères-tu plus fort que lui ?
- Oui.
- Te considères-tu plus rapide que lui ?
- Oui.
- Te considères-tu techniquement meilleur que lui ?
- Non. Mais il n'est pas non plus à des années-lumière. Je pense pouvoir le dépasser dans quelques années.
-As-tu déjà réussi à le battre ?
- Jamais. A vrai dire, il m'a toujours fait mordre salement la poussière.

Le Maître rouvrit un œil et regarda en coin son élève, le sourire aux lèvres.
- Maître P est donc un combattant moins fort et moins rapide que toi mais il te bat à plate couture ? C'est ça que tu me dis ? 
- C'est vrai que dit de cette manière, ça a l'air ridicule. Mais il me semble que c'est la stricte vérité.
- La question à se poser est alors : "Pourquoi ?". 
L'élève sourit d'un air désabusé.
- Je ne sais pas. Je ne comprends pas.
- Te rappelles-tu des manières dont Maître P. t'a battu ?
- Oh oui ! C'était à chaque fois impressionnant. Je n'ai jamais réussi à le toucher. Il contrait tous mes coups, il anticipait tous mes mouvements, comme s'il lisait en moi... Il laissa sa phrase en suspens. Comme s'il lisait en moi.
L'élève se mura dans le silence et observa Maître P. qui s'entraînait dans la cour.
Le Maître sourit. On avançait.

L'élève se remit soudain à parler.
"Maître. Est-ce sa capacité d'analyse et d'adaptabilité à son adversaire qui fait de Maître P. le meilleur combattant de notre Cercle ?
Le Maître frappa bruyamment ses mains contre ses cuisses.
- Et bien, tu vois ? Ce n'était pas compliqué à comprendre. Pour l'anecdote, Maître P. m'a un jour dit ceci : "Quand vous vous battez, vous ne comprenez pas ce que vous faites. Moi je comprends ce que je fais mais surtout, et plus important, je comprend ce que, vous, vous faites. Et donc je comprend vos mouvements avant vous. Il ne me reste alors plus qu'à vous attendre".
- Dites, il n'est pas un petit peu présomptueux ?
- Ce serait présomptueux de sa part s'il ne gagnait pas tous ses combats. Le fait est qu'il y a très longtemps que personne n'a réussi à l'inquiéter. Mais son talent ne s'arrête pas là ! Je vais te montrer.

Le Maître désigna la cour d'un geste ample du bras.
"Observe les combattants présents en ce moment et désigne moi en un que tu es certain de pouvoir battre.
L'élève répondit instantanément.
- Marive. Nous sommes rentrés dans le Cercle en même temps et ça le fait enrager d'être toujours derrière moi.
- Et bien, ainsi soit-il.
Le Maître se leva et héla Maître P.
- Maître P. ! Pouvez-vous enseigner à Marive comment battre mon élève ?

Maître P. acquiesça, prit Marive par l'épaule et se dirigea de l'autre côté de la cour tout en parlant tout bas avec lui. Le Maître se retourna vers son élève.
"Échauffe-toi. Tu combats dans une quinzaine de minutes.

L'élève s'exécuta et alla s'échauffer.
Il ne put s'empêcher de ressentir une certaine appréhension.


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