Toudoutudum... La sonnerie « Morning Flower » de son portable vient de se déclencher. D'un geste qui a tout du réflexe pavlovien, il lui coupe le sifflet. Pas besoin de regarder l'heure. Il est trop tôt et il n’a pas assez dormi.
Cricri cri.... La sonnerie « Grillons »
de son portable vient de se déclencher. D'un geste qui a tout du réflexe
pavlovien, il lui coupe le sifflet. Pas besoin de regarder l'heure. Il est
toujours trop tôt et il n’a toujours pas assez dormi.
La mélodie de la « Lettre à
Élise », joué au piano par une main peu assurée, se propage dans son
appartement. De même qu'une odeur de café moulu bien frais.
La mélodie, c'est la personne qui
habite à côté. Il n’est séparé de cette « artiste » à quatre sous que
par un mur mitoyen bien trop fin pour des assauts auditifs d’une telle
violence. Elle s'est mise au piano il n'y a pas longtemps et s'entraîne
invariablement tous les matins à la même heure. Quand il entend ce piano et
qu'il est toujours dans son lit, il sait qu'il va être à la bourre. Et il faut
avouer qu'il est souvent à la bourre.
Il rejette sa couette avec un brin
de regret. Comment elle fait pour être en pleine forme et motivée pour jouer du
piano TOUS les matins ? Putain elle fait chier avec sa motivation à la con. Je
suis certain qu'elle est de bonne humeur en plus. Qu'elle aille se faire
foutre.
Il allume la radio, France info, un peu pour écouter les nouvelles mais
surtout pour couvrir le bruit du piano. Elle a beau s'exercer tous les matins,
elle est toujours aussi mauvaise. Elle maîtrise l'intro mais le reste c'est un
massacre.
Il fait chauffer de l’eau dans sa bouilloire. Café soluble et flocons
d’avoine insipides. Sa « morning routine » comme dirait les pétasses.
Comme il est en retard, il va devoir avaler son café alors que celui-ci sera
encore trop chaud. Il le sait déjà. Il s’assoit à la table de sa cuisine, les
yeux dans le vide. La radio déblatère son lot de joyeusetés de bon matin. A ce
qu’il entend, il ne fait pas bon habiter le Moyen-Orient en ce moment. A vrai
dire, il ne sait même pas où c’est le Moyen-Orient. Ça parle de pauvres gens,
de gens morts, de pauvres réfugiés. Les mêmes qu’on traitera de sales arabes
une fois qu’ils auront mis pieds sur notre cher pays. Et voilà pas qu’on se
remet à parler du mec qui aurait attrapé un bon nombre de femmes par les
parties. De toute façon, c’est ou lui, ou Baba et ses frasques qui accaparent
l’antenne. Bande de cons.
Le ptit déj fini, il balance sa
tasse et son bol dans un évier qui déborde déjà. Il s’en occupera plus tard. Il
doit choper le bus là. Il regarde sa montre (montre acheté 2€ chez un marchand
à la sauvette. Il se demande quand elle le lâchera). Il va falloir accélérer le
pas. Il dévale les escaliers. Arrivé à un angle, il tourne brusquement et
percute violemment une femme qui descendait aussi les escaliers, mais à un
train de sénateur. Il ne se retourne même pas. Il continue à dévaler les marches.
A peine si il entend le « ‘Spèce de connard ! » qui lui était
destiné. Il ne fait plus attention aux insultes de toute manière. On n’en
finirait pas.
Le bus vient de partir devant lui.
Il est certain que le chauffeur l’a vu dans son rétro. Mais il ne l’a pas
attendu, l’enfoiré. Ses deux majeurs dressés, il regarde toujours dans la direction
du bus. Il espère que ce connard de chauffard les aura vu ces deux-là. Il
reprend difficilement son souffle. Il ne fait pas de sport et il fume. Il n’est
pas gros, encore heureux. Sinon il aurait fait un AVC ce matin en courant comme
un dératé. C’est officiel, il sera en retard.
Arrivé au taf. Devant la
photocopieuse, il se sent un peu comme le mec dans Fight Club, coincé dans son
open-space. Sauf que lui, il n’aura jamais les couilles (ou le dédoublement de
personnalité adéquat) pour monter un Fight club. Il regarde d’un œil morne les
papiers sortir de la photocopieuse. Mais qu’est-ce qu’il fout là ? A sa
gauche, à travers les grandes baies vitrées, on peut voir la salle de réunion,
remplie de gens « importants ». On voit que ces gens sont importants
parce que le costume leur va bien. Lui, il ressemble à un pingouin. Ces photocopies
sont finies. Il retourne s’asseoir à son bureau.
Il est consultant pour entreprises.
C’est beau comme titre mais ça ne veut rien dire. Son job consiste à débarquer
dans des entreprises, dire à des gens mieux qualifiés que lui ce qu’ils sont
censés faire, toucher son cachet et se casser. Et comme à chaque mission on le
balance sur un sujet où il y connaît que dalle, il passe son temps à imprimer
et lire des pages Wikipédia pour pouvoir faire semblant de s’y connaître une
fois devant le client. Et le pire dans tout ça, c’est que ça pouvait être très
lucratif par moment.
Il se rappelle souvent, avec
nostalgie, de la fois où on l’avait balancé en Afrique de l’Est pour superviser
la mise en fonctionnement d’une mine d’uranium. C’était le topo classique :
une multinationale voulait mettre la main sur les ressources minières d’un pays
sous-développé, avait payé quelques pots de vins au dictateur en place, et
maintenant retournait la terre et pillait tout ce qu’il pouvait avant de
pouvoir se casser en laissant derrière eux un no man’s land. On était en zone
de guerre et il avait constamment deux gardes du corps avec lui. Il ne pouvait
même pas aller poser une brique sans qu’on vérifie la cuvette avant qu’il
entre. Et au final, il s’était fait des couilles en or. Le salaire mirobolant
qu’il avait réussi à soutirer à la multinationale + une prime de risques deux
fois plus élevée que le salaire initial + les pots de vins qu’on lui avait
refilé pour qu’il ferme sa gueule à propos de conditions de travail inhumaines
qui étaient imposée = de l’argent à plus quoi savoir en foutre.
Il n’avait rien fait de cet argent.
Il dormait gentiment sur un compte en banque. Il ne saurait dire pourquoi, mais
il n’osait pas l’utiliser. Il aurait pu quitter cet appart’ minable pour aller
vivre dans le centre-ville. Mais même pas. Il retourna à ses papiers.
Cette fois-ci, la mission était la
mise aux normes des lampes halogènes. Les mecs à Bruxelles se sont fait un kiff
il n’y a pas longtemps et ont changé toute les normes. Et maintenant faut tout
vérifier. Ouais, non. Son boulot n’a jamais été intéressant par contre. La
plupart des missions, il n’a jamais compris qu’elles avaient été leur but
final. Excusez-moi mais quand on nous demande d’étudier l’impact du prix de la
pomme de terre sur le cours du Dow Jones, je pense que c’est normal de pas trop
comprendre à quoi ça sert.
Il jeta un regard à ces gens en
costume dans la salle de réunion. Si ça trouve, il est collé à leur peau, ils
ne peuvent plus le retirer. Ils sourient. Comment arrivent-ils à se complaire
dans cet environnement de « propals », de « capex/opex » et
j’en passe ? Ils ne voient pas que ce qu’ils font et ce qu’ils vendent
c’est de la merde ? Bien emballée, certes, mais ça reste de la merde.
Qu’est-ce qu’il fout la putain ?
Il aurait dû quitter ce job depuis
belle lurette. Mais il ne l’a pas fait. Pas les couilles de se retrouver au
chômage et galérer alors qu’on a le cul assis sur une chaise et qu’on gagne sa
vie. Alors il continue à ne rien comprendre à ce qu’il fait et à vendre son
ignorance à des entreprises qui n’y voient que du feu. Ce boulot n’a aucun
sens.
Coup d’œil rapide à l’horloge.
C’est bientôt l’heure de déjeuner. Ça au moins, il le comprend.
Sandwich informe payé 5€ dans un
réfectoire bondé, sale et puant. En face de lui, il y a un de ses collègues qui
lui parle. Les stratégies marketing développées par les chaînes de fast-food
sont toutes les même, prenons exemple sur Mc Donald… C’est certain qu’il s’y
connait en fast-food, vu son gros cul… Greenwashing des logos et européanisation
des standards américains… Comment il s’appelle déjà ? Il devrait le
savoir, il a déjà bossé avec lui sur le dossier des chinois… implantation de
succursales dans les centres économiquement propices aux… A vrai dire, il ne
connaît le nom d’aucun de ses collègues. Enfin si, il se rappelle le prénom de
Pauline du service de prospection… implication des CEOs dans le développement
interne des équipes de management… La veste qu’il s’était pris. En même temps,
de toutes les femmes qui auraient pu lui taper dans l’œil, il est tombé sur la
seule lesbienne du service… Dis, tu m’écoutes ?... Edouard. Il s’appelle
Edouard. Edouard reviendra vers lui quand il sera intéressé par les grands
sujets de ce monde et arrêtera de se comporter comme un gamin. Il va pouvoir
manger son sandwich tranquille. Une douce sonnerie retentit. Quatorze heures.
Il aurait dû être devant son bureau depuis une demi-heure. Mais bon, qui s’en
soucie ?
En bas à droite de son écran
d’ordinateur, il y a l’heure qui s’affiche. Elle est décalée de très exactement
36 secondes avec l’horloge murale accrochée au fond de l’open-space. Ça fait
longtemps qu’il l’avait remarqué mais c’est toujours drôle à revérifier.
Le bus de 18h17. A chaque fois
qu’il le prend, il se demande comment le service de transports avait osé faire
passer le bus à 18h17. Il avait cette vieille chanson ringarde des années 80
qui lui revenait en tête à chaque fois. Ça ne loupait quasiment jamais. Bondé,
comme toujours. C’est fou comme tout est toujours bondé mais comme tout le
monde est toujours seul. Pas une seule personne ne discute avec une autre. Ça
regarde par la fenêtre, ça écoute de la musique (à un niveau assez élevée pour
niquer les tympans de l’auditeur. On entend les boum-boum-boum jusque-là), et
surtout ça joue à Candy crush. Il regarde tout ça d’un œil impavide. Il a
oublié ses écouteurs ce matin en partant. Impossible pour lui de s’isoler dans
sa bulle. Alors il regarde les gens sans les voir. Que fout cette vieille mamie
dans le bus ? Je veux dire, elle est à la retraite, elle a le temps.
Qu’est-ce qu’elle vient s’emmerder à prendre un bus à l’heure de pointe ?
Elle n’aurait pas pu le prendre plus tôt, ou plus tard ? Il déteste ce
genre de personnes. Du même acabit que ces vieux qui font leurs courses le
samedi matin. Ils prennent de la place alors qu’il pourrait gentiment éviter les
lieux publics aux heures de pointe sans que cela leur pose de soucis. Merde à
la fin. Ah. Ah ah ah. Un petit jeune vient de subrepticement glisser sa main dans le cabas de la mamie. Il
en ressort un porte-monnaie qui, ma foi, a l’air bien garni. Personne n’a rien
vu. La mamie jouait au bridge sur son portable.
Vingt-trois minutes plus tard, il
descendait à son arrêt. Le fameux pickpocket descendit en même temps que lui.
En même temps, sa résidence était un repère de voyous des bacs à sable. Pas
étonnant que ce gamin vive dans le même endroit que lui. Le bus repartit. Le
gamin retira une énorme liasse de billets du porte-monnaie et balança le reste
dans la poubelle. Jackpot mon vieux. Il regarda tout ça d’un œil amusé puis
s’en retourna chez lui.
Il ouvrit sa porte et resta bloqué
sur le palier. Bien évidemment, personne ne l’attendait à la maison. Il avait
eu un cochon d’inde une fois. Mais il avait oublié de le confier à la concierge
avant de partir aux States pour voyage d’affaire. En revenant, ça puait la mort
dans son appart’. Il n’en avait pas dormi pendant trois semaines. Il s’était
décidé à ne plus jamais avoir d’animal de compagnie. Il se prépara à manger.
Rien de bien folichon. Des pâtes et des saucisses. Cuites en même temps, dans
la même casserole. Gain de vaisselle et de temps d’attente. Il alluma France
Info. C’était des débats culturello-philosphique à cette heure. A vrai dire, il
n’en avait rien foutre de ce qui se disait. Il voulait juste entendre des gens
parler. C’est oppressant le silence. Les knackis avaient éclaté en cuisant et
les pâtes étaient imbibées d’eau, trop cuite. Même pour la cuisson des pâtes il
arrivait à se rater.
Il n’était même pas 21h. Il avait
fini de bouffer, la radio le saoulait, il commença donc à s’emmerder. Comme
tous les soirs. Il n’avait pas la télé. Il avait un ordinateur et il aurait
bien pu se mater une de ces séries qu’ils avaient piratées il y a quelques mois
de ça. Mais franchement, après avoir passé 9h de sa journée l’œil vissé à un
écran d’ordi, allumer un écran aurait été la dernière chose qu’il aurait voulu
faire. Il se serait cru de retour au boulot. Il s’assit dans son canap’ élimé
et regarda le vide. Les murs sont en papier dans cette résidence. Il entendait,
de façon indistincte, le bruit que faisaient ses voisins. Une chasse d’eau sur
sa gauche, des gamins qui chialent sur sa droite, une télé qui faisait un bruit
assourdissant… et des cris, des râles, des gémissements.
Comme quasiment tous les soirs à la
même heure, il y avait ce couple qui baisait. La régularité de ces coïts
l’intriguait. Déjà, ils se faisaient plaisir 6 fois par semaine au minimum.
Lorsqu’il avait eu une copine, il n’arrivait pas à la toucher plus de deux fois
par semaine (« naaan mais j’ai la migraiineuh », il entendait encore
sa voix nasillarde). Ensuite, les cris et gémissements. Autant masculin que
féminin, ils étaient d’une force et d’une intensité qui laissait entrevoir la
puissance de la scène juste par les oreilles. Et finalement la durée. Jamais moins
d’une heure et demie. Il n’avait jamais été une bête de sexe et de temps à
autre il se demandait si cela serait avisé d’aller demander conseil. Jaloux du
couple d’à côté ? Peut-être pas. Envieux ? Sûrement. Ça faisait plus
de 9 mois qu’il n’avait pas trempé le biscuit, ça commençait à le titiller
aussi.
Il ferma les yeux, se focalisa sur
ces geignements qui auraient fait bander un pape. Il ne fallut pas attendre
longtemps avant qu’il ait la trique. Il baissa alors son froc, empoigna son
phallus de sa main droite et commença à s’imaginer en train de participer à la
partie de jambe qui avait lieu de l’autre côté de ce foutu mur mitoyen. Il
avait une très bonne imagination pour ces choses-là…
… Elle enleva ces vêtements qui
tombèrent délicatement par terre. D’un pas léger, elle vint grimper à ses pieds
sur le lit. Un corps nu, voluptueux, venait à quatre pattes à sa rencontre.
Elle se déhanchait et son fessier promettait des merveilles d’un autre monde. Ses
yeux plaqués dans les siens. Il pouvait y lire un désir insatiable que lui seul
avait le pouvoir de combler. Des seins, chauds et fermes virent se glisser sous
ses mains. Elle se pressait contre lui, elle murmurait, le suppliant de venir
en elle. Sa bouche était brûlante contre la sienne, leur langue se mélangeait
avec une fougue de deux adolescents, pas forcément très habiles mais
indubitablement affamés l’un de l’autre. Son corps se frottait contre le sien,
son entrejambe était humide, il pouvait le sentir glisser de façon pressante
contre son pénis. Il mordit ses seins, elle gémit de plus belle. Elle
l’agrippait de ses mains, lui lacérant le dos, lui mordant l’oreille, lui susurrant
des mots interdits dont ses enfants en rougiraient encore. N’y pouvant plus, il
la retourna et se retrouva au-dessus d’elle. Ses yeux brillaient d’un éclat
lubrique sur lequel on ne pouvait s’y méprendre : elle attendait ça depuis
le début. Il la pénétra. Les yeux écarquillées, elle se cambra et lança
un « oh mon dieu ! » dans un souffle rauque qui se perdit
dans les plaintes qu’elle poussa alors. Il allait et venait dans cet orifice
chaud, doux mais bestial qu’on lui offrait. Il savourait chaque instant,
l’embrassant goulument, la pénétrant de plus en plus vite, de plus en plus
profond et de plus en plus brutalement. Elle avait abandonné la partie. Ses
yeux roulaient dans ses orbites, elle cherchait tant bien que mal à reprendre
son souffle et, jambes écartées, s’offrait totalement à lui. Elle voulait
l’orgasme et elle s’avait qu’il lui donnerait. Dans un dernier coup de rein, il
s’agrippa à ses hanches et jouit en elle. Elle cria d’un petit aigu très
mignon, ses mains crispés sur ses épaules, elle se cambra violement en avant.
Puis, elle retomba sur le lit. Extenuée et satisfaite.
Il ne s’était pas masturbé plus
d‘un quart d’heure. Il avait foutu du sperme partout sur son froc baissé et
aussi sur le sol. C’était dégeulasse. Il était seul, chez lui. Les cris de
jouissance continuaient de lui parvenir depuis l’appartement voisin. Il se
sentait misérable.
Il nettoya le sol, mit son pantalon
dans son bac de linge sale et alla se pieuter.
Quatre heures plus tard, il ne
dormait toujours pas.
Allongé dans son lit. Sur le ventre. Vessie écrasée contre le matelas. Envie
de pisser.
Et demain on recommence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire