La Nature et l'Homme - Part 3

 Je n'en croyais pas mes yeux. Un loup de 3 mètres de haut ? C'était tout bonnement impossible. Ce genre de monstruosité n'avait aucune raison d'exister. Sans me retourner, en gardant un œil sur la bête qui nous faisait face, je m'adressais à Lyoj. Je parlais à voix basse mais la colère sous-tendait la totalité de mon propos.

" Espèce de crétin. A quel moment as-tu oublié de me préciser la taille des loups qui rôdaient dans votre village ?
- Je... Je... Quelle est cette chose ? Je vous assure que je ne savais pas... Ma famille...

Je lui jetais un regard du coin de l'œil. Il était toujours debout dans le chariot, mais ses genoux tremblaient. Et il était pâle. Très pâle.

- Ce n'est pas un loup. C'est un Père des esprits des forêts.

C'était Kae qui venait de parler. Nous nous retournèrent tous les trois vers lui, un air d'incompréhension peint sur nos visages. On avait un monstre gigantesque en face de nous, c'était pas le moment d'être cryptique. Il vit nos regards et s'expliqua :

"Vous connaissez les Contes de Terreloin ? Goroboro le Gros Sanglier ? Et bien c'est un être de la même espèce.
- Un Maître Sylvain ? Tu veux dire que ce qu'on a devant nous est un Maître Sylvain ?
- On leur donne parfois ce nom, oui.
- N'importe quoi ! Et pourquoi ce ne serait pas un Densifer, tant qu'on y est ? Les Contes de Terreloin sont des histoires qu'on raconte aux enfants pour les tenir tranquille, pas des...
- Lyoj ! Vas-tu cesser tes inepties ? Si un yornien te désigne un loup d'un blanc immaculé de trois mètres de haut et te dit que c'est un Maître Sylvain, c'est un Maître Sylvain.

Et pour la petite histoire, que je n'eus jamais l'occasion de raconter à Lyoj, j'avais croisé un Densifer un jour, perdu dans les montagnes de Navhal. Et je connaissais le lieu de rendez-vous d'une tribu de Kalcileros sur lequel j'étais tombé complètement au hasard lorsque j'avais 12 ans. Les créatures fantastiques ne sont pour beaucoup que des animaux de contes et autres mythes. Peu de personnes pouvaient se targuer d'en avoir rencontré et d'être revenu vivant. Mais ils étaient bien réels. Et nous avions une fois de plus la confirmation sous nos yeux.

La raison pour laquelle Kae avait sans hésitation désigné le loup comme étant un Maître Sylvain, c'est que c'était un yornien. Alors que la quasi-totalité du monde civilisé prêchait l'amour des Douze Dieux, Yorn continuait de cultiver des rites soi-disant ancestraux et vénérait ces créatures mythologiques. Les "Bêtes". A ce qui paraissait, les yorniens savaient reconnaître les "signes" et "discerner" les Bêtes. J'avais toujours pris cette affirmation pour des élucubrations de fanatiques, comme ces fous qui disent entendre la voix des Dieux dans le souffle du vent... Mais aujourd'hui, j'étais plutôt enclin à le croire.
En parlant de Kae. Il venait de se retourner vers Lyoj et le regardait de la même manière qu'un parent regarderait son enfant turbulent.

- Dites-moi. Avez-vous récemment abattu des grands arbres ? Des chênes centenaires plus particulièrement ? En grande quantité ?
- Je ne sais pas vraiment mais oui, on a coupé des arbres. L'Eglise a enfin accédé à notre requête et nous a envoyé un architecte et des ouvriers pour que nous puissions avoir notre Temple. En ce moment nous sommes obligés d'aller à Huiz pour prier et...
- Ne cherchez donc plus la raison pour laquelle ce Père se dresse au milieu de votre village. Je suis d'ores et déjà navré de ce que je vais vous annoncer mais des gens de votre village périront dans les jours à venir...
- Que... Quoi ?! Rivani ! Tenez votre sale yornien en laisse ! Je vous ai laissé l'amener car je pensais que ce sauvage savait chasser mais voilà qu'il se met à menacer les miens !
- Chuuuuut ! Qu'est-ce qui vous prend d'hausser le ton comme ça alors que nous avons une Bête à moins de 15 secondes de nous ?

Maliona avait raison. Néanmoins, je ne sais par quel miracle, le loup ne nous avait pas encore aperçu. Il était encore temps de faire demi-tour.

QU'ATTENDEZ VOUS POUR VENIR A MOI ?

Je sursautais. Cette voix semblait venir de l'intérieur de ma tête. Mais vu le mouvement de surprise de mes comparses, je n'étais pas le seul à l'avoir entendu ? Kae lâcha un rire bref.

- Il semblerait que nous n'ayons guère le choix. Lyoj, je vous prierais de descendre du chariot dans le calme et sans faire de gestes brusques. Quant à vous Rivani, ne pensez pas que nous puissions nous retirer. Il y a au bas mot 17 loups qui nous encerclent. Nous ne pouvons que marcher vers le Père.

Comment ça ? 27 loups ? Comme ai-je fais pour ne pas les remarquer ?! Je scrutais autour de moi et... effectivement. J'aperçus des signes qui ne trompaient pas. Je me mit à tourner doucement sur moi-même. Un deux... Minimum 11.

- Merde... Le yornien a raison. Lyoj, descend. Il faut qu'on reste groupé.

Lyoj, plus pâle que jamais, descendit du chariot et vint nous rejoindre. Trois loups en profitèrent pour apparaître sur la route, juste au niveau du chariot. Ma jument avait sûrement du les apercevoir. En toute autre occasion, elle aurait piaffé, hennit, rué. Mais là, rien. Comment pouvait-elle rester si calme ?

NE T'INQUIETES PAS. ELLE NE CRAINT RIEN.

Je semblais être le seul à avoir entendu la voix cette fois-ci. Les loups continuaient d'avancer lentement vers nous, nous poussant lentement vers le Maître Sylvain. Lyoj venait de se pisser dessus. Nous avançâmes un pas après l'autre, aux aguets. J'avais toujours ma dague à la main et Maliona une flèche encochée. Kae, lui, était clairement en promenade. Il avançait droit devant en montrant des signes d'impatience du fait que nous n'avancions pas à la même allure que lui. Du calme yornien ! On allait de toute manière la voir ta Bête. Nous n'avions guère le choix. Avancer ou se battre contre 27 loups simultanément... Tu parles d'un choix.
Lorsque nous fîmes à environ une dizaine de mètres du Maître Sylvain, les loups se dispersèrent et formèrent avec d'autres un cercle tout autour de la place sur laquelle nous étions. C'était la place du marché de Mornay. Un cercle d'environ 150 mètre de diamètre, un puits sur la droite, une trentaine de loups tout autour et un putain de Maître Sylvain en son centre. Et maintenant ?

PATIENTEZ. JE LEUR AI DEMANDE DE VENIR. ILS NE SAURAIENT TARDER.

Kae s'assit nonchalamment par terre. Maliona rangea sa flèche mais resta debout son arc à la main. Je rangeait ma dague. Lyoj, quant à lui, était dans un état de choc avancé. Il avait de la bave qui coulait aux commissures de ses lèvres et il ne cessait de répéter "s'il vous plaît, s'il vous plaît..." les mains en prière à genoux devant le Maître Sylvain. Il n'y avait plus à rien à tirer de lui.
J'étais en train de me demander qui était ce "ils" dont il était question lorsque je vis une femme tenant un enfant dans chaque main entrer sur la place. Un loup l'escortait. Les bêtes qui formaient le cercle s'écartèrent pour la laisser passer et lui permettre de nous rejoindre au centre puis reprirent leur position. Petit à petit, des gens affluèrent des quatre point cardinaux pour venir s'agglutiner sur la place. Des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes... Tout Mornay semblait avoir rendez-vous sur la place du marché ce soir. Je regardais tout cela se dérouler avec une certaine incompréhension lorsqu'on m'ont tira de mes pensées.

Kae, discrètement, nous interpella.
- Rivani, Maliona. Je pense savoir ce que le Père a en tête. Je vous conseille de me suivre. Dans moins d'une heure, je préférerais de beaucoup avoir des loups dans mon dos plutôt que des hommes.

Nous nous regardâmes avec Maliona. Aucun de nous deux avait la moindre idée de ce qui se passait. J'haussais les épaules et suivit le yornien. Il avait l'air de savoir ce qu'il faisait et il n'était pas du genre suicidaire. Nous nous plaçâmes donc tous les trois à la lisière du cercle, le dos collé au puits, à moins de deux mètres de la babine de loup la plus proche et nous attendîmes. Kae se rassit par terre et Maliona l'imita. Après une courte réflexion, je fis de même. Je ne voyais pas quoi faire d'autre à part attendre maintenant. La nuit commençait à tomber lorsque l'afflux de personnes sembla cesser. Au moment où ce qui devait être la dernière personne attendue arriva sur la place, la voix se mit à tonner à nos oreilles.

VOUS AVEZ PROFANE NOTRE MONDE. VOUS AVEZ TUE MES ENFANTS. MES CHERS ENFANTS. VOUS AVEZ OUBLIE CE QUE NOUS AVIONS INCULQUES A VOS AÏEUX. VOUS AVEZ OUBLIE QUE VOUS NE DEVEZ VOTRE EXISTENCE QU'A LA GENEROSITE DE ȽɤɧϠ. NOUS AVONS PARTAGE NOS RESSOURCES AVEC VOUS. ET C'EST AINSI QUE VOUS NOUS REMERCIEZ ? VOUS NE RESTEZ QU'UNE RACE DE VERMINES PATHETIQUES. VOUS AVEZ PROLIFERE ET NOUS VOUS AVONS LAISSE FAIRE. C'ETAIT UNE ERREUR. MAIS ICI, DANS MA FORET, LES CHOSES VONT RENTRER DANS L'ORDRE. VOUS ALLEZ PAYER LE PRIX JUSTE POUR CE QUE VOUS AVEZ SUBIR A MES ENFANTS. VOUS ALLEZ REAPPRENDRE CE QUE VOUS DEVRIEZ SAVOIR. VOUS ALLEZ REAPPRENDRE A NOUS RESPECTER. VOUS AVEZ TUE MES ENFANTS. VOUS AVIEZ L'AIR D'APPRECIER CELA. ALORS, COMME PUNITION, JE VOUS CONDAMMNE A TUER VOS ENFANTS. EN ESPERANT QUE VOUS Y PRENIEZ MOINS DE PLAISIR. TUEZ LA MOITIE DE VOS ENFANTS. APPRENEZ A RESPECTER LES LIEUX DANS LESQUELS VOUS EVOLUEZ. VOTRE FAUTE SERA ALORS EXPIEE ET VOUS POURREZ RETOURNER A VOS MISERABLES VIES QUI DURERONT TANT QUE VOUS NE PROVOQUEREZ PAS DE NOUVEAU MA COLERE.

Sur ces mots, le Maître Sylvain fit un bond immense au-dessus de la foule, atterrit en dehors de la place et, sans se retourner, disparu dans la forêt. Les loups présents autour de la place ne bougèrent pas d'un iota.
Kae attira discrètement mon attention et celle de Maliona.

- Un enfant, c'est un être n'ayant pas encore atteint sa maturité sexuelle. Il y a environ 80 individus sur cette place qui correspondent à ce critère. Nous ne pourrons donc quitter Mornay que lorsqu'environ 40 d'entre eux auront été exécutés. Les loups n'interviendront pas, à part si quelqu'un essaye de quitter les lieux avant que la tâche soit terminée. Comment pensez-vous que tout cela va se dérouler ? Je serais vous, je garderais ma dague à portée de main et je propose que nous prenions des tours de gardes pour cette nuit.

Bon sang de bon Dieux... Maliona me regarda avec des yeux écarquillés, horrifiée. J'étais à peu près dans le même état de stupeur qu'elle. Il fallait être un putain de yornien sans pupilles pour être capable garder son sang-froid dans des moments pareils.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire