La Nature et l'Homme - Part 2

 J'arrivais à bord d'un de nos chariots de convoi sur la grande place, vingt minutes avant le cinquième coup de cloche, accompagné de Kae ainsi que de Maliona.

Quand j'avais pensé prendre à qui amener avec moi, j'avais directement pensé à Maliona. C'était ma nièce, elle connaissait l'art de la chasse aussi bien que moi. Et elle prenait un certain plaisir sadique à élaborer des pièges élaborés qui, je pense, ne me seront pas de trop lorsqu'il s'agira de coincer un loup Firanais. Pire que des anguilles ceux-là.

Notre client nous y attendait déjà. Ascobo m'avait donné son nom puisque cet emmanché avait oublié de se présenter lorsqu'il nous avait exposé sa requête la veille. Lyoj donc. Il monta dans notre chariot et nous partîmes sans plus de cérémonie. Lorsque nous entendîmes sonner le cinquième coup, nous avions déjà atteint les faubourgs de Lorais.

Le voyage se déroulait agréablement. Nous allions cheminer le long des prés et autres étendues agricoles pendant une majeure partie de la journée avant de pénétrer dans la forêt de Gliro en fin d'après-midi et enfin arriver Mornay un peu avant la tombée de la nuit. Je laissais les rênes sur le coup de ma brave jument qui se contentait de suivre le chemin à une allure plus qu'acceptable. Il ne servait à rien que je la presse. Il allait faire beau toute la journée. Et effectivement, dès que les brumes matinales s'évaporèrent, le temps se mit au beau fixe et un grand soleil monta dans un magnifique ciel bleu.

Le yornien se cala dans le fond du chariot et, engourdi par cette chaleur dont il n'avait certainement pas l'habitude, il s'assoupit. Lyoj, lui, ne disait rien. Il regardait droit devant notre chariot, pestant sûrement intérieurement que nous ne puissions pas avancer plus vite. Je n'allais de toute manière pas presser ma jument pour son bon plaisir, au risque de la blesser. Il ne me payait pas assez pour ça. Moi, je tenais les rênes. Je n'avais pas l'habitude de parler autrement que pour distribuer des ordres. Le voyage aurait donc pu s'annoncer des plus mornes et des plus silencieux mais, fort heureusement, Maliona était avec nous. 

Celle-là, elle ne supportait pas le silence, il fallait qu'elle le comble à tout prix. Elle savait se taire lorsqu'elle chassait et écouter quand quelqu'un parlait, certes, mais elle ne pouvait pas rester tranquille dans des moments comme celui-ci si personne ne faisait la conversation. Ce trait de caractère remontait à la mort de ses parents et je ne connaissais que trop bien les circonstances entourant cet incident pour lui en vouloir un seul instant. Et puis, elle me détrompait de l'ennui, qui aurait eu tôt fait de poindre durant ce voyage. Elle parlait dans un patois Firanais, mâtiné de Crifandian, propre à la région dans laquelle nous avions tous les deux grandis. Elle savait parler dans le dialecte noble-Firanais, compris de tout le monde, mais revenait sans même y penser à ce patois dès que la nécessité de se faire comprendre de tous disparaissait. Je pense que Lyoj comprenais un mot sur deux de ce qu'elle racontait et le yornien, à coup sûr, n'aurait pas pipé un seul mot de ce qu'elle racontait s'il ne s'était pas déjà endormi.
En parlant de Kae, Maliona avait les yeux rivés sur lui.

- Il est beau, hein ? C'est vrai que ses yeux blancs ça fait un peu bizarre au début mais on s'y fait. Et puis ses scarifications, c'est plutôt joli au final. C'est comme les tatouages des malfrats chez nous en vrai. Et puis, mes Dieux, au lit ! Il est extraordinaire ! Je te raconte pas, il est bien meilleur que n'importe quel mec avec qui j'ai pu coucher dans ma vie, il...

Je levais les yeux au ciel. Parmi toutes les personnes intéressées par la compagnie des hommes qu'il pouvait y avoir dans mon escouade, seule Maliona l'avait trouvé séduisant. Et je pense que le yornien avait trouvé Maliona à son goût car pas plus tard qu'une semaine après notre rencontre, il rejoignait sa couche. Et ces deux là passaient encore pas mal de nuits ensemble, encore maintenant. Je n'avait rien à y redire, mais il devait être vraiment doué pour qu'elle remette ce sujet sur le tapis à chaque fois qu'il était possible.

-... C'est en partie pour ça qu'il a le droit de porter des Scrynen. Il t'a déjà raconté ce par quoi il est passé pour avoir l'autorisation de les manier ?

Je secouais la tête. Les Scrynen, c'était les deux armes de mains qui étaient accrochées au dos de Kae. "Une Scryn, des Scrynen" m'avait-il dit, agacé que je qualifie ses armes de "bout de bois". Les Scrynen étaient constituées de baguettes de bois d'environ la longueur de mon avant-bras terminées à leurs extrémités par une lame effilée et à double tranchant de la taille de ma main. Des mini-lances se maniant à une seule main en somme. Ces armes étaient ridicules et il me semblait impossible de se battre avec ces deux bouts de bois tout ayant une technique de combat fluide et efficace. Et pourtant, ce yornien m'avait prouvé à maintes reprises que c'était possible. Ses mouvements lorsqu'il combattait le faisait ressembler à un pantin désarticulé, mais bons Dieux que c'était efficace.
J'avais aussi appris que seule une poignée de personnes dans le monde savait manier les Scrynen et que c'était un grand honneur que d'être jugé digne de les porter. Bref, j'avais très vite appris, et mes hommes par la même occasion, qu'il ne fallait pas se moquer des Scrynen de Kae, sous peine de finir le nez éclaté contre la table d'une taverne. Les yorniens ont leur fierté.

-... Et bien tu regarderas, les lames de ses deux Scrynen ne sont pas de la même couleur. Elles ne sont pas faites dans le même matériau. Et quel que soit la chose que tu veuilles trancher, au moins une de ces deux lames pourra le trancher aussi facilement que si t'amusais à couper une motte de beurre tiède avec ton fauchon. Tu n'as pas besoin de force physique pour les manier. Il m'a fait tester sur un rocher, c'est impressionnant !...

Ceci explique cela. J'avais toujours trouvé le diamètre des fourreaux de ses Scrynen beaucoup trop large par rapport à la taille de ces armes. Mais c'est justement pour éviter que la lame ne touche le fourreau, pour ne pas l'abîmer.

-... Après, un Scryn demande 5 ans de travail pour être fabriqué. Il n'y a que 4 artisans qui connaissent les secrets de fabrications des Scrynen, ils sont traités comme des demi-dieux en Yorn et tu ne trouveras jamais deux de ces artisans au même endroit au même moment. Pour éviter que tous meurent dans le même accident. Et Kae a le droit de porter deux Scrynen. Pour cela, il a dû se montrer digne de cet honneur et prouver à ses pairs qu'il était quelqu'un de talentueux.
Il existe en fait une liste bien établie "d'exploits" (le mot yornien c'est quelque chose comme "Grkg", imprononçable et intraduisible correctement), chaque exploit que tu réalises te rapprochant du droit de porter des Scrynen. Et ce droit ne t'es au final accordé uniquement si les porteurs de Scrynen actuels t'en jugent digne. Pour pouvoir en porter deux, Kae a dû réaliser la quasi-totalité des exploits existants. Il a par exemple une chaire de professeur d'algèbre à la Grande Université, tu le savais ?

Notre yornien était un intello ? Je m'en doutais à vrai dire. Ce petit air de suffisance avec lequel il aimait s'afficher était l'apanage des érudits.

-... Et un de ses exploits... C'est d'avoir parfait ses connaissances dans les arts de la chambre. Et ce, quelque soit les goûts et les désirs du ou des partenaires avec qui il est.

Elle lui lançait des regards emplis de malices et de je-ne-sais-trop-quoi dont je ne voulais pas vraiment savoir la teneur.

-... Pour en revenir au Scrynen, ce sont des horreurs à manier, même Kae le reconnaît. Mais c'est justement fait exprès. Il a beau être doué dans beaucoup de domaines, il restera à jamais ridicule en maniant les Scrynen.

Ce qui acheva de me convaincre que les Yornien ont un sens de l'humour que je ne comprendrais jamais. Je secouais la tête et parla dans ma barbe.

- Ils sont un peu tarés ces Yorniens quand même. Refiler des cure-dents à un mec parce qu'il sait se servir de sa queue...

Sur ces paroles, le yornien, sans bouger de sa position, les yeux fermés, prit la parole. Dans le même patois que celui que nous utilisions, avec un fort accent mais une grammaire parfaite.

- Ce que tu oublies de dire à Rivani, c'est qu'un des Grkg que j'ai atteint, c'est celui de la maîtrise des langues. Mes "cure-dents", ma queue et moi n'acceptons pas ce genre de discours, Sieur Rivani.

Je grommelais de vagues excuses et Maliona rit de toute ses dents. Lyoj, complètement paumé par la tournure qu'avait pris la conversation, continuait à regarder droit devant lui.

La journée se passa agréablement et nous arrivâmes en vue de Mornay une petite heure avant le coucher du soleil. Le sol étant plat, ses maisons ne nous apparurent dans leur entièreté que lorsque nous nous approchâmes relativement près de l'entrée du village. La route par laquelle nous arrivions était large et traversait Mornay en ligne droite de part en part. A environ 800 mètres de notre arrivée, Maliona m'ordonna de stopper le chariot. Je m'arrêtais sans discuter. Lyoj s'indigna.

- Ne vous arrêtez pas maintenant ! Nous sommes arrivés ! Il faut que je prévienne le village de mon retour !
Maliona ne prit même pas la peine de lui répondre et m'adressa la parole.
- Quelque chose ne va pas.
Kae se leva et nous rejoignit à l'avant du chariot.
- Effectivement. Où sont les enfants censés jouer sur la place ? Les femmes puisant de l'eau au puits ?
- Et pourquoi aucune fumée ne sort des cheminées alors que nous sommes quasiment à l'heure du repas ?

Le yornien et moi descendîmes du chariot. Maliona prit un arc dans le convoi, le banda, prit un carquois rempli, et nous suivi. Lyoj resta et haussa le ton.

-Qu'est-ce que vous faites ?! Remontez dans le chariot et allons jusqu'au village ! Je...
- La ferme ! Maliona a raison. La forêt fait du bruit normalement. Où sont les oiseaux ?

Je sorti la dague que j'avais à la ceinture.
Nous fîmes quelques pas, laissant un Lyoj tout penaud derrière nous, et nous le vîmes sortir d'entre les maisons. Un loup. Un putain de loup. Entièrement blanc. Et à en juger par la taille des maisons à proximité de la bête, il faisait un bon trois mètres au garrot.

Kae laissa échapper un petit rire.

"Toujours motivé pour aller chasser le loup mon cher Rivani ?


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