Nous étions retournés panser nos plaies dans notre bonne vieille ville de Lorais après avoir terminé notre dernier contrat.
La partie septentrionale du Yorn est peut-être mondialement réputée pour son université et sa cohorte de savants aux genoux cagneux mais, je peux vous l'assurer, leurs bandits aussi n'ont rien à envier à ceux de notre comté de Firane. Notre compagnie avait perdu quatorze hommes (quatorze de trop) dans ces steppes inhospitalières. Quelle idée avais-je eu d'accepter ce contrat ? La paye avait été bonne mais bons Dieux ! Nous ne sommes pas aussi compétents que les troupes de l'Aigle Impérial.
Toujours est-il que nous avions maintenant de l'argent de côté et que nous aspirions tous à un peu de calme après ces mois éprouvants.
Assis à une des tables de la Guilde, je conversais autour d'une bonne bière avec un yornien qui avait eu la folle idée de nous suivre lorsque nous sommes rentrés. Le seul yornien à des lieues à la ronde. Il détonnait ici, avec son habit noir ajusté, sa peau opalescente, ses yeux blanc laiteux et sans pupille, et ses scarifications rituelles qui lui barraient le visage. Certains de mes hommes avaient peur de lui. Il apportait le mauvais œil à ce qu'il paraît.
Toujours est-il que, sans lui, ce n'est pas quatorze hommes que j'aurais perdu en Yorn. On aurait tous fini étripés la gueule ouverte. Quand il m'avait demandé si il pouvait nous accompagner vers le sud, accepter sa requête avait été le moindre des remerciements.
Il savait se battre mieux que quiconque de ma compagnie et, si on l'écoutait, il avait appris tout ce que le Yorn avait à enseigner. Il était sans aucun doute une personne érudite et vive d'esprit.
Légèrement imbu de lui-même, il restait de compagnie agréable et savait apprécier la bonne bière.
Son nom était Kae. Sonorité pour le moins étrange mais le nom était facile à retenir.
Nous étions en train de comparer et vanter les mérites respectifs de la gent féminine Firanaises et Yorniennes lorsque Ascobo m'interpella depuis l'autre côté de la grande salle. Il y avait un boulot pour moi. Je soupirais. J'aurais voulu avoir ne serait-ce que deux semaines complètes de repos. Surtout après notre campagne Yornienne. Mais si Ascobo a décidé que le boulot est pour toi, il n'y a pas vraiment moyen de se défiler. Je demandais donc à voir le gus qui voulait louer mes services. Je n'étais pas de la meilleure des humeurs lorsqu'il vint s'asseoir à notre table.
Au vu de la tête que tira notre nouvel arrivé, le tableau devait être saisissant. Je me tenais en face de lui, mercenaire Firanais d'une quarantaine d'année, le visage buriné par de trop nombreux conflits, la barbe broussailleuse et un regard mauvais. Et, assis à côté de moi, le Yornien le regardait de ses yeux sans pupilles d'un air qui se voulait, j'en suis sûr, aimable et attentif mais qui ne rassurait guère. Il y avait de quoi se faire dessus. Ascobo lui poussa une chaise et assit l'homme dessus d'une pression vigoureuse sur ses épaules. Il déglutit difficilement.
Je commençais à éprouver de la sympathie pour lui. Mais pas assez pour chasser ma mauvaise humeur.
" Qu'est-ce que tu veux ?
- Oui, euh, voilà. On a des loups qui rôdent autour de notre village et...
- Qu'est-ce que tu veux que ça me foutes ? Je suis le chef d'une compagnie de gens d'armes, on ne chasse pas le gibier.
- Quand je suis arrivé dans Lorais, tous les gens auxquels j'ai demandé m'ont dit que Rivani de la compagnie des Cerfs rouges était le meilleur trappeur de la région. Et Monsieur Ascobo m'a dit que vous étiez Rivani. Écoutez mon problème s'il vous plaît.
Il ne se démontait pas la bougre. Me parler de la sorte alors que j'avais mon baudrier d'où dépassait la poignée de ma lame posé sur la table, voilà qui était couillu.
Et les renseignements qu'on lui avait fourni était correct. J'ai épousé le métier des armes relativement tard. Jusqu'à mes 27 ans, je tenais avec mon frère la plus grande et la plus compétente des confréries de chasseurs-trappeurs. A la mort de ce dernier, j'avais tout laissé tombé pour un fauchon et une targe. Toujours est-il que je chassais toujours dans mon temps libre et que ma réputation ne s'était pas ternie avec le temps.
Je me renfonçais dans mon siège et je l'exhortais à reprendre là où il en était.
"J'habite Mornay, en plein milieu de la Forêt de Gliro. On a toujours eu des loups autour de notre village. Mais depuis peu, ils ont gagné en confiance et n'hésitent plus à pénétrer dans le village. Nous avons beau faire des rondes, brûler des torches, rien à faire. Nous avons déjà eu trois morts à cause d'eux. Une de ces saletés est rentrée par la fenêtre d'une maison et a tué les enfants qui s'y trouvaient. Le gibier de la forêt ne doit plus leur suffire pour nourrir leur meute et je pense que c'est pour ça entrent dans notre village. Pour trouver à manger. Mais cette situation est intolérable. Aidez-nous à chasser ces loups loin de nos maisons.
- Tu sais que je ne travaille pas gratuitement, n'est-ce pas ?
-Oui ! Attendez...
Il commença à farfouiller fébrilement dans la besace qu'il avait sur l'épaule et en sortit une bourse ma foi plutôt bien remplie. J'entrepris d'en renverser le contenu sur la table. Des pièces de bronzes. Il avait faillit m'avoir. La bourse était uniquement remplie de menues piécettes. Il y avait juste de quoi payer le matériel dont j'aurais besoin pour l'expédition.
"Nous avons réalisé un quête au village et voici la moitié de ce que nous pouvons vous offrir. Vous aurez l'autre moitié lorsque nous serons débarrassés des loups.
Intéressant. Avec une deuxième bourse identique à celle-ci, j'avais de quoi payer un de mes hommes pour m'aider à la tâche. Mornay n'était qu'à une petite journée de voyage d'ici et tuer trois ou quatre loups et effrayer le reste de la meute n'était pas un travail qui allait me demander beaucoup d'effort. En quatre jours grand max, le problème était réglé. J'étais prêt à accepter son offre. Encore deux ou trois petits détails à régler avec ce bonhomme.
" Avec ce que tu m'offres, je te propose de venir avec un de mes hommes pour vous aider à éloigner les loups de votre village. Néanmoins, il y a des conditions supplémentaires :
1- les peaux de tous les loups que nous auront tué nous reviendrons,
2- Je veux que nous soyons logés et nourris le temps que nous serons à Mornay,
3- J'aurais besoin de l'aide de trois gaillards en plus pour poser mes pièges. Je veux donc au moins trois hommes de ton village sous mon commandement lorsque nous y serons.
Si tu acceptes ces conditions, alors nous partons demain à l'aube.
- J'accepte.
J'eus un mouvement de joie que j'essayais de cacher. Les loups de Firane forment une sous-espèce de loups connue pour la beauté de leur fourrure. Normalement, ces loups sont énormes, dangereux comme le sont n'importe quel animal sauvage, mais restent très craintifs et ne s'approchent jamais à moins de deux jours de marche de toute habitation humaine. Autant dire que c'est normalement une horreur à traquer. Si j'arrivais à récupérer et vendre ne serait-ce qu'une de ces peaux, je n'aurais plus à regretter mon excursion. Je me ressaisis.
"Va chercher Ascobo, qu'on rédige le contrat.
L'homme se leva.
Je repris ma bière et attendit.
" Puis-je vous accompagner ?
Putain le Yornien ! Il m'a fait sursauter, j'avais oublié qu'il était là. Je ne sais pas comment il fait pour s'effacer de la sorte. On dirait presque qu'il arrive à se rendre invisible parfois.
- Je ne demande aucune part du butin, je suis juste curieux. Et bien évidemment, je respecterais vos ordres une fois sur place.
J'haussais les épaules. Ça ne m'étonnait pas de lui. C'était un original ; il me donnait l'impression d'être le type de personne qui adorait envoyer des coups de pieds dans des fourmilières, juste par curiosité, pour voir la réaction des fourmis. Et puis, à ce que j'avais compris, l'argent n'était pas un problème pour lui. Une paire de bras en plus, gratuite en plus, n'était jamais de refus. J'acceptais donc qu'il nous accompagne.
L'homme revînt avec Ascobo, nous signâmes le contrat et nous nous donnâmes rendez-vous pour la place centrale de Lorais aux cinquième coup de cloche le lendemain matin.
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