C'est moi que j'aime à travers vous

" C'est un peu comme dans la pièce de théâtre Les fausses confidences de Marivaux, mmm'voyez ?

Il avait vraiment appuyé sa prononciation sur le "m" de l'expression "voyez-vous" qu'il venait d'utiliser. J'ai trouvé ça bizarre, certes. Mais ça cadrait très bien avec le personnage que j'avais en face de moi. Très belle cravate Donald soit dit en passant.
- Non, je ne vois pas, et c'est bien ça le problème.

- Mmm'voyez, dans cette pièce (pièce absolument truculente soit dit en passant, je vous recommande vivement sa lecture), le protagoniste masculin tente de séduire une jeune femme appartenant à un milieu social différent du sien en inventant mensonge sur mensonge. Et le plan fonctionne. La femme est séduite. Mais ! (et c'est ici que réside tout le sel de la situation) au moment où il comprend qu'il a réussi à séduire la femme, au lieu de profiter de son dû malicieusement acquis, il préfère lui exposer son forfait... Quitte à ce qu'elle le méprise pour ses mensonges !

Alors, plusieurs remarques :
- Oui, ce mec avait le don de pouvoir intégrer des parenthèses dans un discours oral. Ça reste impressionnant. 
- Qui lit des pièces de théâtre ? Allez les voir, à la rigueur, mais les lire ? Sa cravate Donald venait de prendre une tout autre signification. 
- Épouser une femme = profiter de son dû malicieusement acquis. Il devait être puceau.

- Ok, très bien. Et donc ?

- Et bien elle l'épouse quand même !

Je ne pensais pas qu'il était de ceux qui tapait du plat de la main sur la table pour ponctuer ses phrases. Décidément, il était plein de surprises.

- Ok, très bien. Et donc ?

- Mmm'voyez, ceci signifie qu'elle a accepté de l'aimer tout en sachant que tout ce qu'elle savait de lui n'était que mensonges ! Son mensonge (à lui) est devenue sa vérité (à elle) afin qu'elle puisse supporter le fait d'être tombée amoureuse d'un charlatan !

Je me suis forcé à respirer lentement. Je n'avais pas le droit de le tarter celui-là.

- Ok... Et donc ?

- Et bien votre situation est en tout point similaire !

J'ai du le regarder avec les yeux d'une carpe sortie de l'eau. Il s'est senti obligé de rajouter :

- Mmm'voyez ?

J'osais secouer la tête dans un signe de négation. Toujours avec un regard de carpe médusée. 

- Enfin, bien évidemment, vous, vous êtes un homme. Mmm'voyez, dans la pièce, c'est une femme.

- Soyez rassuré : je ne vous aime pas. Mais je valide : vous êtes des charlatans. 

- Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Enfin monsieur ! Faites un effort pour comprendre ! Nous ne nous en sortirons jamais sinon !

Premier point sur lequel nous tombions d'accord : on était pas sorti de l'auberge.

- Alors permettez-moi de résumer ma situation.
Il esquissa un levé de petit doigt et commença à ouvrir la bouche.
- Non, taisez-vous et écoutez-moi.
Il ferma sa bouche mais gardait le petit doigt à demi-levé. 
- J'ai payé des arrhes, une énorme somme, à votre société pour la réalisation d'une prestation que vous étiez censé terminer il y a 6 mois de cela. Pour des raisons totalement indépendante de ma volonté, vous m'avez informé que vous ne pourriez pas honorer le contrat. Je vous ai demandé de me rembourser. Vous m'avez dit que si je voulais être remboursé, il fallait que je remplisse le formulaire 52-A. Ce que j'ai fait.
Il essaya de rouvrir sa bouche.
- Taisez-vous, je n'ai pas fini. 
Aucun son ne sortit de sa bouche mais il la garda ouverte. C'était à lui de faire la carpe cette fois.
- J'ai donné ce formulaire à votre secrétaire qui a malencontreusement renversé une goutte de son café sur la feuille 3-bis. Une minuscule goutte qui a fait une minuscule tache sur cette feuille. Et vous me dites qu'à cause de cela, non seulement vous ne pouvez plus me rembourser mais que, en plus, je devrais vous régler la totalité du paiement ? Pour un service que vous n'avez pas pu me rendre ?

- C'est exact. 

Ces deux mots furent lancés avec un aplomb qui faillit me déstabiliser.

- Est-ce que je suis le seul à trouver ça totalement anormal ? 

- Tout à fait. Mmm'voyez monsieur, les règles sont faites pour être suivies et appliquées. Dans votre cas, nous nous référons au livre 6 du code... 

Je n'écoutais plus.
Le dialogue de sourd que nous avions aurait pu continuer longtemps. Je me levais et parti.

Il allait me falloir de l'énergie et du temps que je ne possédais pas pour me sortir de cette situation.
Faisons donc de notre mieux. En espérant ne pas finir comme Joseph K..

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