Une rame et un rai

Il était à plus d'une dizaine de rangées de moi et pourtant je ne voyais que son visage.

Littéralement. De toutes les personnes qui m'entouraient, c'était le seul dont j'apercevais distinctement le visage.

Nous étions dans un TGV. Un vieux TGV à deux étages qui sentait la poussière si je veux être précis.

J'étais assis dans le sens de la marche, côté couloir. Il était assis à une dizaine de rangées de moi, dans le sens inverse de la marche, côté fenêtre. Le train n'était pas bondé mais il était loin d'être vide. Et par un hasard[1] que je n'explique pas, d'où j'étais je voyais clairement son visage dans l'interstice formé par les deux sièges devant lui. Je ne voyais que son visage d'ailleurs, rien d'autre. Un bout de son col de chemise à la rigueur. Le soleil lui arrivait obliquement dessus. Il brillait. Je ne voyais que lui. Le reste du train n'existait plus. Même mon voisin qui avait réquisitionné l'accoudoir pour son seul usage n'avait pas de prise sur mon esprit[2].

A m'écouter, vous pourriez légitimement penser que je le dévisageais d'une manière tout sauf respectueuse. Mais non. Ma maman m'a appris les bonnes manières et je n'ai pas tout oublié. Je lui ai jeté peut-être trois coups d'œil de toute la durée du trajet. Et les deux premiers étaient involontaires. Genre, je lève la tête de mon téléphone deux secondes, et paf ! Son visage ! Mais il est gravé au fer rouge dans ma mémoire, ce visage. 

Et c'est quoi la suite ? Hein ? C'est quoi la suite ?

Et bien il n'y en a pas, de suite.

Il n'a jamais été question de suite. 

Il est descendu, je suis descendu dans son sillage et, une fois dans la gare, je l'ai perdu de vue. Ce n'est pas comme si j'avais essayé de le rattraper non plus.

Il y a des personnes qui n'ont pas besoin d'être autre chose qu'un visage pour illuminer nos journées. Lui parler aurait brisé la magie.

Merci, brillant inconnu, d'avoir illuminé mon voyage, même si cela s'est fait à ton insu.

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[1] Hasard ? Vraiment ? Les voies de la SNCF ont beau être en retard, elles sont parfois impénétrables.

[2] Alors que pourtant c'est le genre de truc qui m'agace en temps normal. Je veux dire, comment on fait pour récupérer un bout de cet accoudoir sans paraître mesquin ? Bref. Je n'avais pas d'accoudoir.