Faire ce qui est juste - Partie 3

 Hogdar attrapa la bouteille et entrepris de remplir de nouveau son verre. Cependant, cette dernière avait été vidée et il ne put recueillir dans son verre qu'une quantité dérisoire de liquide. Visiblement désappointé par cette déconvenue, il avisa alors le verre de Kae encore rempli à ras-bord.

- Je peux ? demanda-t-il en pointant du doigt l'objet de sa convoitise.
Kae lui tendit le verre.
- Je t'en prie.
Hogdar ne se fit pas prier, attrapa le gobelet, en avala une énorme lampée et émit un rot sonore.
- Désolé.
Kae soupira.
- Et si tu me disais ce que tu voulais absolument me transmettre ?
- Impatient, hein ?

Hogdar avala le reste du verre, inspira un grand coup.
- Tu ne dois pas passer la Porte.

Bah voyons. Les yeux de Kae s'écarquillèrent et il afficha un grand sourire. Si il avait été capable de rire, Kae aurait ri. Hogdar fut contrarié et déstabilisé par l'hilarité de son interlocuteur. Néanmoins, il se reprit rapidement et continua.

- Tu ne comprends pas. Certes, Orig s'est joué de moi, mais jamais il n'a menti ! Il m'a montré des futurs possibles et j'ai choisi aveuglément le mien. Mais parmi tous ces futurs que j'ai pu apercevoir, il y avait aussi celui dans lequel je franchissais la Porte. Orig m'a montré ce qui se passerait si je sortait Ϟ du Vide. En vérité, la sœur de ȽɤɧϠ est complètement incontrôlable. Bien qu'endormie depuis maintenant des millénaires, elle serait totalement capable de raser le Monde à son réveil, juste parce qu'elle se serait levée du mauvais pied ! Et comment crois-tu qu'elle accueillera sa réincarnation forcée dans un corps aussi ridiculement petit que le tien ? Elle sera d'une humeur exécrable. En plus, même si le Triumvira est libéré de ses chaînes entre-temps, il est impossible que les Bêtes divines puissent contenir la puissance que Ϟ a accumulé depuis sa Disparition. Sortir Ϟ du Vide, c'est mener tout droit le monde vers sa destruction. La Cause est vouée à l'échec et tenter de la servir est même contreproductif ! Ta quête doit s'arrêter ici et maintenant !

Kae s'était calmé et écoutait silencieusement Hogdar. Cependant, une lueur d'amusement se devinait encore aisément dans le fond de ses yeux.
- Je vois que tu ne me crois pas et, je suis d'accord, tu as pas mal de raisons de croire que je fabule. Mais pas du tout ! J'ai des preuves, si tu es prêt à m'écouter, je suis capable de te démontrer que...

Kae, un sourire aux lèvres, leva la paume de sa main et fit signe à Hogdar de s'arrêter.
 - Ne te fatigue pas. Ce que tu me dis m'est déjà connu. La Cause est un leurre, ce n'est pas sorcier à deviner. Et, même si je ne l'avais pas compris avant de partir du Temple, j'ai rencontré Mandrag il y a peu et cette dernière est revenue sur le sujet. Elle m'a dit la même chose que toi et a voulu me faire arriver à la même conclusion, bien évidemment. Mais...

Sans finir sa phrase, il se leva et commença à marcher en rond dans la salle autour d'Hogdar qui était resté assis. Il en profita pour scruter plus en détails la salle dans laquelle il se trouvait. Le plafond de la salle était à environ 2,50 mètres de hauteur mais le bâtiment, vu de l'extérieur, faisait bien 5 ou 6 mètres de haut. Cette maison possédait forcément au moins un étage supplémentaire et peut-être un grenier. Néanmoins, il ne semblait exister aucun escalier menant aux étages supérieurs... Kae avisa alors l'anneau de métal qui pendait au plafond en plein centre de la pièce. Le yornien avait initialement pris cet anneau pour un point d'ancrage utilisable pour accrocher un lustre par exemple. Mais maintenant qu'il l'examinait plus en détail, il discernait distinctement un carré parfait tracé dans les nervures du bois tout autour de l'anneau. Une trappe donc. Aucun bruit n'était venu d'au-dessus d'eux jusqu'à maintenant. Il y avait fort à parier que l'étage supérieur constituait les appartements personnels d'Hogdar et était vide à l'heure actuelle. Kae continua tourner et de scruter les murs (la pièce formait un carré parfait), le sol (terre battue) et par les fenêtres (3 fenêtres, chacune sur un mur différent).
De ce que le Solitaire pouvait en voir, les soldats qu'ils l'avaient mené jusqu'ici étaient régulièrement disposés tout autour de la maison et semblaient sur le qui-vive, leurs regards tournés vers la maison. Ils ne craignaient pas que quelqu'un rentre et interrompe la discussion entre Hogdar et Kae. Ils veillaient à ce que personne ne sorte prématurément.

Hogdar, tout en restant assis, tentait de garder Kae dans son champ de vision, tournant sans cesse la tête pour suivre ses mouvements.

- ... Mais tu n'es pas allé jusqu'au bout du raisonnement, Hogdar. Les choses peuvent se dérouler d'une manière bien différente. Mandrag en est bien consciente et cela l'effraie. Mais toi, l'as-tu compris ?... A ta tête, il me semble que non. Tiens, je vais te mettre sur la voie. Et si je te disais que ȽɤɧϠ souhaite ardemment que tout se passe comme tu viens de me l'exposer ? Et si je te disais que si, par le plus heureux des hasards, Ϟ sortait du Vide sans avoir envie de tout détruire, le Triumvira ferait tout ce qui est en son pouvoir pour la rendre complètement folle ? Si je te disais qu'aucune des Bêtes divines n'a réellement envie de contenir Ϟ ? Que ces Bêtes appartiennent ou non au Triumvira ?

Hogdar le regardait d'un air benêt, autant du au fait qu'il ne saisissait pas ce que Kae tentait de lui dire qu'à sa récente consommation excessive d'alcool.

- Je ne comprends pas.

- Voyons ! Hogdar ! Tu as été un Solitaire ! Tu as forcément eu accès à la bibliothèque cachée du Temple, non ?
Il hocha la tête.
- Oui. J'ai lu deux ou trois des livres qui étaient stockés là-bas. Mais ils étaient tellement gros et je comprenais qu'un mot sur deux... J'ai vite arrêté d'y aller.
Kae soupira puis se reprit.
- On t'a donné la possibilité de t'entretenir avec notre Frère L
e porte-Parole, non ?
- Tu veux parler de cet horrible gus portant une espèce d'armure noire-argentée qui ne dévoile que sa bouche ? Bouche qu'il a horriblement large et avec beaucoup trop de dents ? Dents immensément longues et pointues d'ailleurs ?

Kae hocha la tête.
- Ça n'a pas changé, c'est toujours Ranmnma notre porte-Parole.
- Non. Enfin, oui. J'aurais eu l'occasion de lui parler si j'avais voulu. Mais son apparence et son... comportement m'ont toujours révulsé. Je veux dire, qui de normalement constitué mange de la viande crue en se levant le matin ?
Exaspéré, Kae soupira et leva les yeux aux ciel.
- Et bien. Tu as loupé une occasion en or. Et saches que Ranmnma, malgré son aspect repoussant est quelqu'un d'adorable. Qui plus est, il est très bavard. Par contre, je te le concède, il possède une haleine qu'on peut sans peine qualifier de fétide.

Kae s'arrêta de parler et Hogdar ne reprit pas la parole. Il attendait. Les yeux écarquillés et la bouche entrouverte. Il attendait que Kae lui divulgue ce qu'il avait appris. Kae ne put s'empêcher de se faire la remarque qu'Hogdar l'avait fait venir parce qu'il avait quelque chose à lui dire et que, finalement, c'était lui qui se retrouvait à parler. Le silence aurait pu s'installer et durer longtemps mais Kae décida de le rompre.

- Laisse-moi partir, Hogdar. Je continuerai ma route, je passerai la Porte mais la fin du Monde ne surviendra pas. Tu as ma parole. Tu n'as pas besoin de m'empêcher de partir. Je n'ai aucune envie de te tuer, quand bien même tu restes un Délaissé. Nous n'avons aucune raison de nous battre.

Hogdar réagit immédiatement.
- Comment je peux savoir que tu dis la vérité ? Hein ? Qu'est-ce que qui me dit que ce n'est pas juste une ruse pour que tu puisses t'enfuir ? Tu sais très bien que même si tu arrivais à me tuer, tu ne passerais pas le barrage de la Fratrie qui t'attend à l'extérieur. Dis-moi ce que tu sais et nous aviserons !
La réplique avait fusé. Cela surprit légèrement Kae de voir Hogdar réagir aussi brutalement. Il y a quelques secondes, on aurait dit que le Délaissé était dans un état d'hébétement avancé... il avait recouvert ses esprits avec une vitesse impressionnante.

Kae fixa longuement et intensément Hogdar, toujours assis au centre de la pièce. Puis, il pointa du doigt la hallebarde rouillée appuyée contre le mur de la maison.
- Jure-moi sur ton arme que tu ne divulgueras rien de ce que je te dirais à quiconque.
- Je le jure sur ma hallebarde !
- Tu me prends pour un idiot ? Tu crois que je ne sais pas comment dois être proclamé un serment pour que tu y sois lié par ta vie ? Kae sortit son Scryn de l'Aube. Debout ! Viens jurer par le sang sur ton arme !

Hogdar se leva prestement et s'écarta de Kae tout en bougonnant. Une peur fugace mais perceptible l'avait traversé au moment où Kae avait sorti sa lame.
- Très bien ! Très bien ! Tu vas l'avoir ton serment dans les règles de l'art ! Par contre, il va falloir apprendre à se calmer, le bleu ! Range-moi cette arme, tu vas te blesser !

Kae ne baissa aucunement sa garde.
- Ta main et ton sang sur ta lame !

Hogdar, lentement et méticuleusement, sortit son couteau de chasse de son étui et s'entailla le dos de sa main droite en faisant très attention à ne pas abîmer ses tendons. Il se rapprocha alors de sa hache à long manche toujours adossée au mur et posa le dos de sa main ensanglantée sur la lame.
- Moi, Hogdar, fils de Grign, je jure... 

Le Scryn siffla dans l'air et s'arrêta à quelques millimètres de la glotte d'Hogdar.
- Aurais-tu oublié le Premier Langage ? Celui dans lequel doivent se faire les promesses ? Celui que tu as appris au Temple ? La mauvaise volonté évidente dont tu fais preuve est le pire aveu que tu aurais pu me faire. Pour qui travailles-tu ? 

Hogdar était totalement immobile et, sans pour autant donner l'impression de bouger le moindre de ses muscles, il répondit.
- Nous travaillons tous pour quelqu'un, le bleu. Même toi, tu te crois malin mais tu n'es qu'un pion sur l'échiquier des Bêtes divines.
- Pour qui travailles-tu ?
- À quoi cela te servirait-il de le savoir ? Tu ne pourras rien faire de cette information.
- Ça, c'est à moi d'en juger. Dernière fois. Pour qui travailles-tu ?
Hogdar resta silencieux.

Kae resta tout aussi immobile. Néanmoins, il cogitait furieusement. Pour qui pouvait bien travailler Hogdar ? Quelqu'un dont il taisait non seulement le nom mais aussi pour qui il était prêt à mourir sans discuter. Tout deux savaient pertinemment que si ils venaient à devoir se battre, Kae tuerait aisément Hogdar. Le Délaissé n'avait théoriquement qu'une seule issue : balancer tout ce qu'il savait. 

Les Solitaires, et par voie de fait les Délaissées, étaient des êtres profondément égocentriques. Kae était très bien placé pour le savoir. Se sacrifier pour protéger quelqu'un ? Très peu pour eux. Dans la logique des choses, Hogdar aurait du vouloir sauver sa peau. Cependant, et à la grande surprise de Kae, il était en train de lui prouver que son raisonnement était erroné.

Hogdar était un être perverti et ce depuis longtemps maintenant. Il était soi-disant capable de ressentir de l'amour pour son prochain. Bien que ce concept "d'amour" échappait au moins partiellement à la compréhension de Kae, ce dernier n'était pas sans savoir que ce sentiment était capable de contraindre des personnes normalement sensées à réaliser des actions d'une extrême stupidité. Hogdar aimait donc la personne qu'il servait. Ou... 
Ou bien était-ce la peur ? Préférait-il mourir de la main de Kae plutôt que de s'attirer les foudres de son supérieur ? Mais qui pouvait bien être assez puissant pour qu'Hogdar en arrive à le craindre ? Même si devenu Délaissé, ce n'était pas n'importe qui. Aucun roi, aucune armée ne pouvait l'effrayer, lui qui avait justement poussé à la déroute des bataillons entiers. Même l'Impératrice ne pourrait faire plier le genou à un prêtre des Bêtes. Qui alors ?
Et, question subsidiaire : Si Hogdar exécutait des ordres, il y avait de fortes chances pour que les soldats dehors ne soient pas directement sous ses ordres, mais plutôt sous les ordres de son supérieur. À qui appartenait cette armée ?

Le silence perdura. Bien plus longtemps que Kae aurait cru. Ce fut même lui qui craqua le premier.

- Tu ne me diras rien ? 
- Non. 
- Très bien.

Alors, d'un geste vif et léger, il fit voler son Scryn à travers la gorge d'Hogdar et rattrapa le corps et la tête avant qu'elle ne touche le sol. Couvert du sang qui giclait encore, il reposa doucement et sans bruit les restes inanimés du Délaissé sur le sol. Il avait commis son forfait en restant dans un angle aveugle du mur. Mis à part si un soldat était venu s'amuser à plaquer son visage contre une des vitres, personne n'aurait pu remarquer ce qui venait de ce passer.

En restant au même endroit, Kae tendit son Scryn à la verticale au-dessus de lui et entrepris de tracer un cercle dans le plafond. Il aurait pu simplement utiliser la trappe au milieu de la pièce mais il ne tenait pas à revenir à découvert. La pièce de bois tomba et Kae la rattrapa au vol de sa main libre afin qu'elle ne fasse pas de bruit en tombant. Il posa la pièce de bois par terre, rangea son Scryn et, d'un vigoureux saut à pieds joints, il s'agrippa au rebord qu'il venait de découper dans le plafond. A la force de ses abdominaux et poignets, il réussi à passer par l'ouverture et se retrouva au deuxième étage de la maison. Dans un sens, Kae ne s'était pas trompé. C'était bien dans cette pièce qu'Hogdar devait dormir en temps normal. Mais de là à appeler cette pièce une "chambre", il y avait un pas que Kae ne franchit pas.

Ce dans quoi il venait de s'infiltrer était clairement une cellule. La pièce avait été construite directement sous le toit et des colombages en bois envahis par la mérule saillaient au-dessus de sa tête. De la paille relativement fraîche étalée par terre faisant office de couchage et un seau rouillé, percé à certains endroits et trop rarement vidé, constituaient les seuls éléments présents dans cette pièce. C'était donc la peur qui avait poussé Hogdar au suicide. Bien. Cela arrangeait Kae : il comprenait beaucoup mieux ce sentiment et préférait sincèrement un ennemi qui motivait ses troupes par la peur que par l'amour.
Kae ne s'attarda pas dans cette pièce. Il ressortit son Scryn et entrepris de découper précautionneusement le treillis en métal qui empêchait la fenêtre de s'ouvrir. Une fois que ceci fut fait, il l'ouvrit et monta sur le toit en s'agrippant à la gouttière. Il prit alors quelques secondes pour s'orienter. Première constatation : les rues étaient étroites et cela jouait en sa faveur. Il pouvait aisément sauter de toit en toit jusqu'à la lisière d'Ovridia. Deuxième constatation : il fallait qu'il aille vers le nord. Il souhaitait toujours continuer sa route vers l'ouest mais il ne tenait pas à repasser à travers la horde de soldats montés sur des Bagons qui stationnait toujours à la sortie ouest de la ville et qu'il distinguait aisément depuis sa position. Le nord était alors la direction la plus optimale qui lui restait. Qui plus est, à environ une semaine de marche vers le nord-nord-est, commençait la mangrove du delta de l'Ifrinop : une vaste zone boueuse, n'offrant aucun sol assez solide pour qu'un créature aussi massive qu'un Bagon puisse s'y aventurer et remplie de palétuviers dont les innombrables racines gêneraient forcément un déploiement stratégique d'un quelconque groupe à sa recherche. Tant qu'il resterait dans la zone formée par le delta de ce fleuve, il pouvait assurer sa propre sécurité sans aucun souci. Une petite visite touristique de ces mangroves s'imposait donc.

Kae ferma les yeux quelques secondes et inspira un profondément.

Lorsqu'il était au Temple, il fallait le reconnaître, Kae était loin d'être le meilleur des combattants. Certes, il était doué mais il y avait pléthore de prêtres qui étaient meilleurs que lui. Notre yornien l'avait accepté et ne paraissait pas s'en soucier plus que ça. Après tout, ses compétences étaient amplement suffisantes pour tenir tête à n'importe quel être humain normalement constitué. Cependant, il y avait bien un domaine dans lequel Kae excellait réellement : celui de la fuite. Courir, sauter, semer ses assaillants, se cacher. Il était imbattable. Il rouvrit les yeux et sourit. La suite des évènements allaient lui plaire.

Il prit son élan, sauta et retomba sur le toit de la maison voisine sans un bruit, plus furtif, plus silencieux qu'un chat de gouttière. Sans perdre une seule miette de son élan, il s'élança vers le toit suivant. Puis le suivant, et celui d'après...
Il arriva très vite en bordure de la ville et les dernières maisons étaient trop espacés pour ce genre d'acrobaties. Il sauta alors à terre, se rattrapa d'une roulade et continua de courir. Il fallait qu'il mette le plus de distance entre lui et le corps d'Hogdar avant qu'on ne découvre qu'il avait disparu.

Kae ne sut jamais exactement quand sa fuite fut découverte mais il parvint à atteindre la mangrove en deux jours et trois nuits de course effrénée sans être inquiété par qui que ce soit. 

Enfin soulagé d'être relativement à l'abri de ses poursuivants, Kae se permit de ralentir et fureta parmi les arbres à la recherche de nourriture. Il était affamé. Pendant sa fuite, il ne s'était que peu et brièvement arrêté, se nourrissant de fruits et de racines trouvés sur le bord du chemin.

Il se fit alors la réflexion que ce coin devait regorger de Scolopendres de vase. Même si il n'y avait jamais goûté, il savait que ces Bêtes constituaient un plat raffiné très apprécié de la haute société cryfandienne. Kae sortit donc son Scryn de l'Aube et s'enfonça dans la mangrove à la recherche d'une espèce de mille-pattes venimeux d'environ 7 mètres de long et armé de puissantes mandibules.

Il avait faim.

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