Puisque ce journal semble voué à devenir le procès-verbal des différents membres de notre famille, je souhaite revenir sur les mots écrits dans ce journal par Lumilla, ma défunte mère.
Lumilla est morte en nous donnant naissance, à mon frère et moi. Elle n'attendait pas un enfant comme elle l'avait écrit, mais deux. Déjà que sa grossesse arriva alors qu'elle était relativement âgée, le fait de devoir donner naissance à des jumeaux lui fut fatal.
Lumilla, fille de l'Araignée, ma mère... De ce que j'ai pu comprendre, ma mère resta sa vie entière une enfant. Une petite fille simple et naïve ne montrant que peu d'intérêt à comprendre comment fonctionnait réellement le monde.
Mon père n'a jamais redistribué l'argent de l'Araignée à qui que ce soit, encore moins au nécessiteux. Il n'a pas non plus dispersé ses hommes de main. Il se les ait simplement approprié.
De bout en bout, il se sera servi de Lumilla.
Henri faisait partie de ces nobles auxquels l'Araignée avait limé les crocs. Trop puissants pour être purement et simplement éliminé, ma grand-mère avait fait en sorte qu'ils deviennent inoffensifs. Ce qui avait eut pour effet de mettre ces familles dans une rage folle. Trop diminués pour atteindre l'Araignée au centre de sa toile, ils concoctèrent patiemment, lentement et dans l'ombre, leur vengeance.
Henri avait trouvé le seul point faible de ma grand-mère : Lumilla, qu'elle aimait tendrement. Son Amour pour sa fille ne fait pour moi aucun doute, quoi qu'ait pu en penser ma mère.
Lumilla fut, sa vie durant, un esprit faible. Ses pensées étaient constamment pollués par les paroles mielleuses de mon père.
Il fit grandir et affuta la haine de ma mère contre l'Araignée comme un forgeron l'aurait fait pour une épée. Ensuite, il retourna cette personne devenue arme contre ma grand-mère.
Ainsi, grâce à l'aide ingénue de sa future épouse, Henri réussit à tuer l'Araignée et à rendre à sa propre famille et ses principaux alliés la splendeur et le prestige qui étaient le leurs une génération plus tôt.
Ma mère lui donna en prime des héritiers légitimes (mon frère et moi) avant de s'éteindre. Je ne pense pas que mon père eut pu rêvé d'un scénario aussi parfait.
J'espère ne pas déranger le repos de votre âme, mère, mais il faut que vous sachiez qu'Henri ne vous a jamais aimé. Son amour de toujours, c'est son frère avec qui il entretenait une relation incestueuse avant même de vous connaître. A votre mort, ils n'eurent plus réellement à se cacher, si ce n'est pour maintenir un semblant de décorum. En tout cas, ils ne se cachèrent pas de mon propre frère et moi.
Mère... Vous avez été amenée à détester âprement votre propre mère alors que celle-ci aurait pu vous inculquer tellement de choses si jamais vous aviez eu la patience de l'écouter. C'était assurément une personne de génie, probablement intraitable et sans pitié avec le monde... Mais son intelligence froide et calculatrice, j'en suis certain, cachait une personne aimante qui ne demandait qu'à ce qu'on la découvre. Et puis, une amatrice d'arts et d'artisanat ne peut être une personne foncièrement mauvaise.
Je suis personnellement déçu de ne pas avoir connu ma grand-mère maternelle. Je suis certain que nous nous serions bien entendus.
Il ne me reste plus qu'à expliquer pourquoi j'écris tout cela maintenant dans ce cahier, alors que j'aurais pu le faire depuis bien longtemps. La réponse est simple : je ne suis pas certain de survivre aux jours à venir.
Je suis sorti en premier du ventre de notre mère, ce qui signifie, selon les prêtres du culte des Dieux, que je fus le deuxième fils a être créé. Or, le deuxième fils est celui voué à devenir le fils militaire de la famille. Tradition que je ne peux m'empêcher de trouver profondément injuste.
Je fus élevé différemment de mon frère, héritier du titre. J'ai passé mon enfance à me faire frapper par les différents hommes qui s'occupèrent de mon "éducation". Pour m'endurcir paraît-il. Mon frère, pendant ce temps, apprenait laborieusement les bases les plus élémentaires de l'algèbre en compagnie de Klio, le plus sage des précepteurs de ce siècle.
Je fus forcé de déformer mes mains à force de pratique jusqu'à ce qu'elle devienne assez calleuses et puissantes pour manier n'importe quelle arme. Ses mains, qui ne peuvent plus que manier maladroitement la plume, sont devenues totalement inadaptées pour caresser la peau des femmes que j'ai pu aimer... Mon frère ne s'est jamais sali les mains. cela ne siérait point à son rang.
Et aujourd'hui, je dois aller mourir sur la frontière Franienne pour gagner une guerre que je ne jamais voulu et pour que mon frère en récupère les lauriers.
Tiens, d'ailleurs. Maintenant que j'y pense, cette guerre de représailles lancée par nos voisins est en réalité une conséquence directe de la guerre dite "des huit pas" initiée par l'Araignée des années plus tôt...
Grand-mère, si vous me regardez depuis votre trône aux côtés de Sothe le Dieu fourbe, j'espère que la cocasserie de la situation vous fera sourire.
Il ne me reste plus qu'à espérer qu'un peu de sang de mon aïeul Champion du Serpentaire coule encore dans mes veines et puisse me porter chance lors des prochains combats.
Une feuille volante a été maladroitement rattachée à cette page. Voici ce qu'on peut y lire :
Mon frère,
Ne m'en voulez pas de ne vous avoir jamais montré ce journal.
Je l'ai trouvé dans les affaires de notre mère alors que vous ne saviez pas encore lire et j'ai toujours voulu vous protéger des mots blessants qu'elle avait pu rédiger et que vous pourrez y trouver.
Si je vous le fait parvenir aujourd'hui, c'est que je refuse qu'un tel recueil retraçant l'histoire de notre lignée finissent enterré sous les cadavres et dans la boue, perdu pour les générations futures.
Je connais votre tempérament et je sais que vous seriez capable de jeter au feu ce journal, par simple excès de rage, simplement par rancœur de ne pas avoir connu l'existence de ce journal plus tôt.
Je vous en conjure, n'en faites rien. Lisez-le et j'espère que vous comprendrez.
Votre frère qui vous aime,
Le bas de la feuille semble avoir été brûlée. La signature est illisible.
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