Journal - Entrée 6

 A tous ceux qui tiendront un jour ce journal entre leurs mains, laissez-moi rétablir la vérité sur ma mère.

Je ne suis pas sûre que le nom perdurera, mais sachez que ce que l'on appelle aujourd'hui "l'ère de l'Araignée" correspond exactement à la période entre laquelle ma mère put avoir accès à la cour du Roi et sa mort prématurée. Et, ce, non pas sans raison, comme vous pouvez l'imaginer. C'était elle, l'Araignée.

Elle a trôné au milieu de sa toile pendant quasiment l'entièreté du règne de deux de nos monarques. Grâce à son réseau, elle savait tout, contrôlait tout. L'Araignée, immobile au centre d'une toile dans laquelle nous étions tous englués, avait conscience de la moindre vibration, du moindre mouvement de chacun des membres de la noblesse des Cinq Royaumes. Et si un insecte se débattait un peu trop à son goût, elle le dévorait. Le monde en était réduit à se mouvoir uniquement en suivant son bon vouloir.
Elle était plus puissante que n'importe quel Roi ou Reine. Elle a décidé du sort de l'ensemble du continent pendant à peu près un demi-siècle. On la tient responsable du commencement de trois guerres différentes et d'un régicide. Et je sais que tout cela est vrai.

J'ai mis un terme à cette folie. C'est moi qui l'ai tué. 

Je pensais que la vieillesse l'emporterait rapidement, que sa vie de débauche et d'excès aurait usé sa santé. Mais non. A presque 70 ans, elle était encore beaucoup trop en forme. Il était clair que, si rien n'était fait, il nous restait encore une vingtaine d'années à vivre sous son joug. Alors je l'ai tué, pour le bien de l'humanité.
J'étais la seule à pouvoir l'arrêter. La seule de qui elle ne se méfiait pas. J'ai empoisonné son chocolat chaud.

Nous vous arrêtez pas, chers lecteurs, à sa lubie d'atelier de cordonnerie. Certes, dans les dernières années de sa vie, elle a passé beaucoup de son temps dans cet atelier, à fabriquer des chaussures. Mais pas que. Elle se servait aussi de ce lieu pour recevoir les plus loyaux de ses généraux. C'est de cet endroit qu'elle décidait du sort du monde. Mère, n'avez-vous pas trouvé de prétexte un tant soi peu plus pertinent que de vulgaires paires de chaussures pour justifier les meurtres que vous commanditiez ?

Vous me dégoûtez, mère. Je lis dans le mot que vous avez laissé dans ce cahier que vous m'aimiez, avec un grand "A". Sachez que je ne vous crois pas. Si cela était vraiment le cas, pourquoi tout ce dont j'avais le droit de votre part était du mépris ? Non ! Je n'ai jamais voulu devenir comme vous ! J'ai toujours catégoriquement refusé de suivre vos pas ! Etait-ce un mal ? Cela valait-il que vous me détestiez ? Votre soi-disant amour pour moi n'était que haine ! Je vous déteste !

Cette partie du texte est devenue illisible. De l'eau a coulé sur la page et l'encre a irrémédiablement bavé.

Mon Henrichou d'amour avait raison...
C'est peut-être lui qui a émis pour la première fois l'idée à voix haute selon laquelle vous devriez mourir. C'est assurément lui qui m'a fourni le poison nécessaire à votre trépas. Mais, de toute mon âme, je suis certaine d'avoir été la première personne à souhaiter réellement que vous mourriez.

 Et sachez d'ailleurs qu'Henri est devenu mon mari à votre mort !  Mon Amour que vous avez toujours dénigré est devenu l'homme de ma vie ! Il avait raison : votre disparition était ce qui pouvait nous arriver de mieux !

Père s'est fait assassiner en guise de paiement de ses dettes de jeu peu de temps après votre décès.
J'ai laissé le soin à Henri de faire oublier votre nom qui n'est désormais plus le mien, de récupérer et de redistribuer aux nécessiteux l'argent que vous avez si mal acquis, et de disperser vos hommes de mains.
L'enfant que j'attend n'entendra jamais parler de vous.

Vous êtes morte et votre héritage est voué à disparaître.
Le monde ne s'en portera que mieux.

Je suis heureuse que tout cela se termine ainsi...
Je suis heureuse que tout cela se termine...

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