L'os du rosbif

Le pourquoi du comment nous en étions arrivé à parler de cela importe peu. Je préciserai juste que la soirée était assez avancée. Comme mon état d'ébriété. 

- Ah, mais, perso, j'étais pour le Brexit.

Il me regarda avec des yeux ronds. Je pestais intérieurement. Il allait me demander de me justifier.

- Attend, attend. Tu étais pour le Brexit ?

Encore une de ces personnes capables de souligner leurs phrases à l'oral. Ils n'auront de cesse de m'ébahir.

- Ouaip. 
- Mais... Hum. D'où t'as un avis sur la question ? Je te connais, t'en a rien à battre de la politique, et t'es pas anglais. Tu sais même pas parler anglais !

Je n'osais pas lui répondre que j'avais appris vachement de vocabulaire à force de regarder du porno. Je ne sais pas comment il l'aurait pris.
Mais constatez que j'avais raison : il venait de me demander de me justifier.
Je poussais un soupir.

- Tu ne comprendrais pas, ou mal, ce qui serait pire.
- Essaye toujours !

Il me toisa en croisant les bras. Il ne me lâcherait pas avant d'avoir eu sa réponse. A la suite de quoi il ne m'adressera plus jamais la parole. Heureusement que je ne l'appréciais pas plus que ça de prime abord.

- C'est un mélange de curiosité malsaine et de fascination morbide, le tout sous couvert d'une conviction personnelle.
- Hum. Tu peux développer ?

Putain qu'il me fatigue. Bon allez. Foutu pour foutu.

- Curiosité malsaine. T'as jamais regardé sur YouTube des vidéos de mecs qui foutent des téléphones dans des blenders ? Des mecs qui cassent des trucs juste pour voir ce que ça fait ? 
- Hum. Pas vraiment mais je vois de quoi tu parles.
- Et bah perso, j'en suis accro. Je n'irais jamais foutre mon portable dans un mixeur mais... Mais voir des gens le faire, juste pour voir, tout en restant personnellement à distance de la catastrophe, j'adore ça. Curiosité malsaine. Et le Brexit, c'est le plus gros cassage de téléphone dans le plus gros blender imaginable. Je suis curieux de voir à quoi ça va ressembler une fois que tout sera cassé.
- Hum. T'es un psychopathe en fait. Et ce n'est que la première de tes trois raisons... 

Il me cassait superbement les couilles avec ses raclements de gorges. Mais je ne l'écoutais pas en réalité. J'étais parti. 

- Fascination morbide. Est-ce que tu vois de quoi je parle quand je te dis que les accidentés de la route, ça me retourne le cœur, et dans le même temps, quand mes yeux se posent sur l'un d'entre eux, je n'arrive pas à détourner le regard ? Que je me sens obligé de fixer l'aiguille quand on me pique pour une prise de sang, malgré le dégoût que je peux en ressentir ?
- Euh... Hum... Euh. Pas vraim...

C'était rhétorique, connard. Bien évidemment qu'un mec comme toi ne comprend pas de quoi je parle.

- Et bah pareil pour le Brexit. Une fois que la possibilité d'un tel accident m'eut été évoqué (oui, ma verve gagne des niveaux de langage quand je suis bourré. Ce qui fait de moi un mec extrêmement fun en soirée), je ne réussi à en détourner mon esprit, qui ne souhaite alors plus qu' une seule chose : que la catastrophe survienne. Fascination morbide.
- Hum... Okay... T'es chelou, tu le sais ça ? 
- Et la dernière. Une conviction personnelle. Celle que l'être humain, l'homo sapiens sapiens, de un, mérite de disparaître, et de deux, va y parvenir, ne serait-ce que grâce aux nuisibles qui pompent les ressources de la Terre pour de la thunes et à qui on en donne, de la thunes. Et je serais toujours présent pour encourager les actions des pouvoirs publics permettant de nous mener à notre perte. Dans cette optique, le "Yes Brexit" était préférable au "No Brexit".
Donc voilà. Tu sais pourquoi j'étais pour le Brexit.

Il me regarda bizarrement, s'en alla, et ne m'adressa plus jamais la parole.

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