La Nature et l'Homme - Part 5 - Fin

Tout dégénéra très vite. La faim commençait à tenailler les ventres et la soif nous menaçait tous. Je pense aussi pouvoir dire que Kae ne dormit pas de la nuit. Au petit matin, une enfant, 4 ans tout au plus, fut retrouvée morte étranglée. C'était à n'y rien comprendre. Elle avait dormi dans les bras de sa mère et n'avait pas bougé de la nuit. La personne qui avait étranglé la fillette dans son sommeil l'avait fait sans réveiller ses parents. Au moment où la mère se rendit compte de la mort de sa fille, elle hurla de chagrin et de douleur en réveillant le reste de la place.

- C'est son grand frère qui l'a tué.

Kae, Kae, Kae... Tu aurais peut-être pu me dire bonjour, me tenir au courant de ce qui était en train de se passer, mais non. Il a fallu que la première phrase que j'entende à mon réveil fut : "C'est son grand frère qui l'a tué". J'avais déjà eu des réveils plus agréables.
On s'agitait beaucoup autour de ce petit corps. La mère était déchaînée, son mari hurlait de colère. De ce que je pouvais entendre, la femme accusait sa voisine, qui avait toujours voulu une fille sans jamais en avoir, d'avoir tuée la sienne par jalousie. Elles en étaient venue au main et le sang commençait à couler. Le mari de la voisine essaya de séparer les deux femmes. Il n'y parvint pas.
Puis soudainement la mère éplorée cessa de s'en prendre à sa voisine et se jeta sur un bambin qui gambadait à quatre pattes à ses pieds. Elle lui assena un immense coup de talon dans la tempe. Je n'entendis pas le crâne se briser mais mon imagination remplaça parfaitement mon ouïe. Ce garçon devait être celui de la voisine. En tout cas, celle-ci devint complètement enragée et s'attaqua au frère de la fillette morte. La mère, au lieu de défendre son fils, s'attaqua aux autres fils de la voisine. Les maris en vinrent aussi aux mains, l'un pour tuer la femme de l'autre, l'autre pour défendre sa femme. Certaines des personnes proches du conflit prirent parti pour l'une ou l'autre des familles. 

Et ainsi commença la boucherie. 

Ce déchaînement de violence se déversa de proche en proche et bientôt chacun des adultes se trouva en train de se battre avec un de ses semblables. Les enfants se battaient ensemble aussi. Pire que des animaux. Il n'y avait plus rien à faire. La terre battue de la place se teinta de rouge très rapidement.

J'étais un guerrier aguerri, j'avais combattu dans de nombreuses batailles, que ce soit des batailles rangées d'armée contre armée, des escarmouches et embuscades de brigands, et jamais je n'avais ressenti de la peur face à la violence. Jamais, jusqu'à ce jour. Ceux que je voyais là n'étaient même plus humain. Les cris qui sortaient de leurs gorges ressemblait plus à des grognements de bêtes sauvages que des voix humaines. La façon dont il se battait, complètement désinhibés, était monstrueuse. Je n'avais jamais vu un homme arracher la carotide d'un autre avec ses dents avant ce jour. A Mornay, sur cette place, les gens ici ne se sont pas battus pour une cause, ni pour survivre. Ils se sont battus parce qu'ils le voulaient. Et c'était effrayant.
J'étais tétanisé, incapable de bouger. Je n'ai jamais su si c'était la peur ou mon incapacité à accepter ce qui se passait devant moi qui m'avait paralysé. Maliona avait pris ma dague à ma ceinture et se tenait près de moi, prête à me défendre si jamais il le fallait. Mais elle n'eut pas l'occasion de l'utiliser. Kae était devant nous et formait un mur de lames avec ses Scrynens, découpant en deux n'importe quel assaillants s'approchant trop près de nous. Mais soyons francs, les habitants ne nous prirent que très peu comme cible. Ils s'attaquaient surtout à leurs voisins, à leurs connaissances, aux gens à qui ils pouvaient reprocher quelque chose. Les vieilles et petites rancunes, avec lesquelles chacun de nous vivaient, avaient pris corps chez ces habitants. Chacun d'entre eux tentait de se venger de torts que leurs voisins leurs avaient fait subir. Ces rancunes avaient pris corps, grossi, enflé. Les griefs s'effaçaient alors pour ne faire place qu'à de la violence pure. Sans rien pour l'arrêter.
Les loups se contentaient de regarder la scène d'un œil stoïque. Ils étaient ce qu'il y avait de plus humain à cette heure.

Le carnage dura quasiment une heure. L'heure la plus longue que je n'eus jamais vécu. A la fin, plus personne ne tenait debout. Beaucoup d'entre eux était mort mais la plupart vivaient encore. Mortellement blessés, ensevelis sous la poussière de la place, ils poussaient de longs râles agonisant.

- Les loups sont toujours là.

Kae s'avança alors et, consciencieusement, se mit à achever les enfants qu'il trouvait à terre. Il se tenait debout, les pieds au niveau de leur tête, murmurait quelque chose en yornien, leur tranchait la gorge de sa Scryn sans se baisser, jetait un regard vers le cercle de loups et passait au suivant. Il dû tuer une bonne dizaine d'enfants avant que les loups ne daignent s'en aller.
Alors, en nous prenant, Maliona et moi, chacun par un bras, il nous tira jusqu'à notre chariot. Ma jument avait trouvé les écuries de Mornay et s'abreuvait tranquillement lorsque nous arrivèrent à elle. Kae nous fit monter dans le chariot, pris les rênes et laissa la jument nous conduire sur le chemin du retour.

La totalité du voyage se fit en silence. Lorsque nous arrivâmes aux alentours de Lorais, Kae descendis du chariot.

- Rivani, ne craint pas d'abattre un arbre ou de tuer un animal si un jour tu es dans le besoin de le faire. Mais ne le fais jamais de manière déraisonnable. Ce que tu prends d'une main, redonne-le à la nature de l'autre. Ce à quoi tu as assisté ces derniers jours ne se reproduira plus en Firane avant longtemps. Maliona, tu vas assurément me manquer mais les Bêtes m'appellent ailleurs. Faites part des mes adieux au reste de la compagnie.

Et il s'éloigna de nous en coupant tout droit à travers un champ de blé tout juste fauché. Sans bagage, ses Scrynen dans son dos.

Mornay n'existe plus. Toute la ville a brûlé dans les jours qui ont suivi notre départ. Maliona et moi parlâmes que très peu de ce que nous avions vécu là-bas.

Et je suis encore aujourd'hui en proie à de terribles insomnies.

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