Mon père eut une longue vie. Mon oncle eut une longue vie. Et surtout, à mon grand désarroi, ma tante eut une très longue vie.
Ils moururent alors que déjà je vieillissais et, pendant tout ce temps, ils n'ont cessé de me contrôler. De tout contrôler, en réalité. Le Duc de la Marre et la Comtesse de la Vinaudière étaient bien trop retors pour que leurs semblables aient une quelconque chance face à eux.
A croire que Sophia avait tout préparé depuis ses douze ans. Le cours qu'a pris ma vie et la place que j'occupe aujourd'hui ne dois rien au hasard mais bien tout aux talents maudits de ma tante et, dans une moindre mesure, de mon père.
A vous, mon cher descendant lisant ces lignes, vous êtes peut-être le Roi ou la Reine d'un pays que j'espère prospère mais sachez que vous êtes issu d'un lignée d'usurpateur et que, dans un monde juste, vous n'auriez jamais dû accéder au pouvoir. Je ne m'épancherai pas sur la façon dont je suis devenu le prince consort du Royaume. Cependant, j'imagine qu'il est de mon devoir de combler le vide historique se situant entre le compte-rendu de mon oncle et aujourd'hui.
La guerre contre la République a continué. L'armée royale fut quasiment décimée dès les premiers affrontements, ceci dû à un infériorité technologique flagrante. Le Roi en fut réduit à quémander l'aide militaire de ma tante. Le Royaume sortit vainqueur de la Longue Guerre. L'armée royale fut celle à qui on reprocha d'avoir perdu des batailles. La milice comtoise fut celle à qui on attribua les lauriers de la victoire.
Les territoires du Royaume frontaliers de la République étaient totalement ravagés à la sortie de la guerre. Les terres fertiles de mon père furent épargnées par les combats. Il vendit à des taux astronomiques ses excédents de récoltes à un peuple affamé. Il extorqua aux différents nobles de ces régions désolées une quantité affolante d'argent. Il ne se soucia jamais de savoir si son comportement mesquin et cupide provoquait des famines dans notre pays. C'était le problème du Roi, pas le sien. Et c'est ainsi, dans un geste de bonté aussi stupide que magnifique, que le Roi aida financièrement ses nobles à acheter du grain à Sothe de la Marre.
Le trésor royal fut très vite à sec. Les impôts ne pouvaient être encore augmentés sans risquer un soulèvement populaire. Ma tante se présenta alors en qualité de sauveuse providentielle et proposa un prêt à un taux avantageux à la Couronne. Le Roi se précipita sur l'occasion. Il venait de s'endetter auprès de ma tante. Ce qui était une grave erreur.
Ne jamais être redevable à un requin.
Les prêts s’enchaînèrent. Auprès de ma tante, mais aussi auprès de mon père, qui était la plus grosse fortune du Royaume. Puis, un jour, le Roi ne pu plus payer ses échéances. Le problème de ne pas payer ses échéances lorsqu'on a contracté un prêt auprès de la Comtesse de la Vinaudière, c'est que vous pouvez être sûr que la milice comtoise ou, pire, la cinquième colonne comtoise, vous attend au pied de votre lit dès le lendemain.
Le Roi, affolé par la tournure que prenaient les événements, tenta de négocier un effacement de dette auprès de Sophia et Sothe. L'accord qui s'ensuivit n'était, d'un point de vue purement économique, qu'un peu de mou sur une laisse que mon père et ma tante tenaient toujours fermement. Ainsi, en échange d'une réduction de dette ridicule, ils négocièrent une place au Conseil royal et un titre de pairs du Royaume pour eux deux, mon oncle ainsi que certaines personnes dévouées à leurs cause. Ils venaient d'acquérir une majorité au Conseil royal et, ce faisant, ils sapèrent toute l'autorité politique du Roi. Et, dernier point de cet accord ignominieux : je devais me marier avec Marcia Lizbeth de H., fille du Roi et troisième sur la liste de succession derrière ses deux frères. Remarquez qu'on ne me demanda jamais mon avis.
Les deux frères de Marcia moururent peu de temps après la naissance de notre premier enfant dans l'incendie du domaine de Kirgygard.
Au fond de moi, je ne peux m'empêcher de penser que Sophia... Passons.
A la mort du Roi, ma femme devint Reine, je devins prince consort. Sophia et Sothe régnèrent de fait sinon de droit sur le Royaume jusqu'à leurs morts. Mon fils sera Roi. Notre lignée a légitimement accédé au trône.
J'en entends presque le rire satisfait de ma tante.
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