Il n’avait réussi à s’endormir que sur les coups de trois heures du matin et, pourtant, il s’était réveillé avant que son réveil ne sonne. Yeux grand ouverts, en train de fixer le plafond. Il ne savait pas quelle heure il était mais si sa foutue horloge biologique avait cru bon de le réveiller, c’est qu’on ne devait pas être loin de l’heure de son réveil. Il savait de toute manière que c’était peine perdue que d’essayer de se rendormir, et ce pour plusieurs raisons. De un, il avait envie de pisser. Cela ne cessait de l’étonner : il pissait en plein milieu de la nuit et quelques heures plus tard, alors qu’il n’avait rien bu, il avait encore envie de pisser. L’être humain n’est qu’une putain de machine bonne qu’à manger, boire, chier, pisser et baiser. Putain de pyramide de Maslow remasterisée.
Il regardait donc le plafond et ne
pensait à rien. Enfin plutôt, il pensait à tout ce qui pouvait lui passer à
travers la tête. Le dossier de Supertronix qu’il doit rendre lundi, les fesses
de Pauline, son envie de pisser, les fesses de Pauline, sa vie de merde , les
fesses de Pauline, la tête de con qui lui sert de chef qu’il rêverait
d’entarter tout en sachant qu’il n’osera jamais ne serait-ce que de le traiter
de pauvre con vu qu’il autant de couille qu’un escargot sous œstrogène, les
fesses de Pauline…
Voilà comment provoquer la fameuse
érection du matin.
Ça faisait donc déjà un petit moment qu’il était au lit et son réveil ne sonnait toujours pas… C’était légèrement bizarre. Il osa donc regarder l’heure que son réveil verdâtre faisait suinter hors de son écran … Il était donc, a minima, deux heures et demi à la bourre. Génial. Il se décida donc à se lever et à se précipiter… mais lentement. Faut pas déconner non plus.
Ainsi débuta un ballet auquel il
était accoutumé, bien que ça ne soit pas arrivé souvent. Il gagna donc du temps
là il pouvait et ne prit pas de douche. Tant pis pour les collègues, on fera
croire que l’odeur vient d’Edouard qui transpire dans son costard trois pièces
beaucoup trop moulant pour son ventre à bière.
Il essaya aussi de faire plusieurs
choses en même temps, tout en prenant son temps. Mouvement tactiquement
intéressant mais indubitablement voué à l’échec. Etrange chorégraphie que celle
d’un homme se baladant avec un bol de céréales dans une main, une brosse à
dents dans la bouche tout en essayant d’enfiler sa ceinture avec sa seule main
restante et ayant mis qu’une seule manche de sa chemise. Je ne pense pas que
cela ne vaille la peine de s’attarder plus en détails sur cette danse dite
« d’empressement matinal – mais pas trop » que tout le monde a
expérimenté au moins une fois dans sa vie. Sachez donc juste que cet homme
venait de gagner pas moins de six minutes et trente-sept secondes sur son temps
de préparation de d’habitude tout en étant bien plus débraillé qu’à la normale.
Pour faire les choses comme il faut
et pour se donner bonne conscience, il descendit tout de même les escaliers
quatre à quatre, tant et si bien qu’il failli se casser la margoulette sur le
parvis de son immeuble et arriva en sueur et essoufflé à son arrêt de bus. Il
se tourna vers le panneau des horaires. Il ne savait absolument pas quand était
le prochain bus. Il ne prenait jamais les transports en commun aussi tard. A
cette heure, les bus étaient surement remplis de mamies allant leur club de
tricot, pas de businessmen qui pèsent dans le game et qui vont carrer leur cul
trop gros sur des chaises trop petites dans des buildings de verre trop hauts.
Il avait quand même un peu de chance dans son malheur. Un bus était censé
arriver dans quatre minutes à l’arrêt. Ça va, ça fait pas longtemps à attendre.
Il sortit son téléphone et regarda
les nouvelles sur l’application du journal « 20 minutes ». Il n’achetait pas de journaux papiers et ne
lisait jamais d’articles publiés par les grands journaux comme « le
Monde » ou « le Figaro ». La raison qu’il donnait à cela quand
quelqu’un lui posait la question était que, selon lui, on ne pouvait trouver de
presse plus objective que la presse gratuite. Pas de prise de position
politique trop remarquée, pas de diatribes vindicatives contre tel
multinationale ou contre telle ONG irresponsable. Que des faits.
Un conflit en Palestine ? Il
n’y avait pas besoin d’une demi-page sur pourquoi les Israéliens ont eu raison
de massacrer ces civils (pardon, rebelles) palestinien. Le 20 minutes donnait
le nombre de morts de chaque côté et ça s’arrêtait là. Un concert de
Renaud ? Pas besoin de refaire sa biographie de pilier de comptoir avant
de donner ses dates de concerts. Les personnes qui écrivent les articles dans
les journaux gratuits ne sont que des pigistes payés à la ligne qui n’ont pas
le temps de faire dans le sentimentalisme ou le politique et, même si leurs
articles sont souvent courts, vides et proposent des titres racoleurs, on ne
venait pas l’emmerder avec un édito écrit par Lavillardière et les opinions de
BHL dont il n’avait strictement rien à foutre.
Ça c’était la raison qu’il donnait
à ceux qui voulaient l’entendre. Et il le disait avec une telle verve et une
telle conviction qu’on était obligé de le croire. Il avait même réussi à
convertir des personnes qu’il estimait comme intelligentes à cette lecture des
journaux gratuits.
La réalité, c’est que c’était le
journal qui avait la meilleure rubrique « insolite » qu’il avait pu
trouver. Mais franchement, rien que pour lire l’histoire du papy admis aux
urgences avec un trombone coincé dans l’urètre, il n’avait aucun remords à
mentir aussi effrontément aux gens.
Il leva la tête de son portable.
Cela faisait au moins 6 minutes qu’il lisait des conneries sur son écran. Et
toujours pas de bus. Il allait finir par être en retard dis donc ! Il y
avait autant de finesse dans son ironie qu’il y a d’animaux tués par PETA.
Soudain, un doute l’assaillit. Non,
ça ne peut pas être ça… il devait forcément se tromper… pourtant ça
expliquerait pas mal de choses… Il fit glisser frénétiquement ses doigts sur
l’écran de son portable à la recherche de l’information… Putain ce n’est pas
vrai.
On était samedi. Il se laissa
retomber mollement contre la paroi de l’abribus et poussa un immense soupir.
Non mais quel boulet il faisait… Il remonta mollement jusqu’à son appartement,
défit sa veste posa sa mallette par terre. Il était bien trop réveillé pour se
re-pieuter. Qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir foutre de sa journée ?
Il se rappela tendrement de
l’époque où il était encore naïf et motivé et où il aurait profité de ce temps
pas-si-moche pour aller se taper un jogging de plus d’une heure. Ça faisait
déjà un bout de temps maintenant qu’il avait réussi à se convaincre que le
sport n’était pas fait pour lui. De toute manière, il suffisait d’allumer la
télé et admirer les beaux sportifs - bestiaux élevés aux stéroïdes – pour se
convaincre que ce n‘était vraiment pas fait pour le commun des mortels que de
faire du sport. Néanmoins, il restait enfermé dans un bureau durant toute la
semaine et il ne pouvait pas, il ne voulait pas, rester enfermé dans son
appartement.
Vous vous imaginez ? La
plupart des gens vivent de la sorte. Ils restent enfermés dans leur bureau la
semaine et dans leur appartement le week-end. Appartement qui est parfois
encore plus petit et plus bruyants (faites des gosses) que l’open-space dans
lequel ils bossent. Ils n’ont rien fait de mal, ils sont de bon gentils toutous
qui suivent les règles dictées par leur société de merde, et pourtant ils
vivent dans un carcan qui n’est pas sans rappeler Fleury-Merogis. Mais si vous
le leur demandez, ils vous répondront qu’ils sont on-ne-peut-plus heureux.
Non, tout ça, très peu pour lui. Il
fallait qu’il sorte.
Il changea donc de chaussures pour
une paire de basket élimée bien plus confortable que ses chaussures de costard,
enfila un sweat et sorti. Ses pas le mèneront bien quelque part…
… une exposition d’art
contemporain. La prochaine fois il fera plus attention à ce que font ses pieds
histoire de ne pas finir dans un autre traquenard comme celui-ci. Il était
certain que ses pieds n’avaient pas fait le boulot tout seul mais que ses
hormones avaient aidé à l’élaboration du guet-apens. Il se souvenait
distinctement avoir vu un très beau petit cul passer par la porte d’entrée de
ce bâtiment. Incapable de remettre la main dessus une fois à l’intérieur
cela-dit.
Il sortit de ses pensées et
contempla la forme indistincte peinte sur le tableau en face de lui. Il avait
payé son entrée, autant contempler autre chose que les méandres peu ragoutants
de sa conscience racornie. Il vit alors un homme, la quarantaine, qui s’avança
vers lui avec la ferme intention de lui parler. Il pouvait le voir dans ses
yeux. Cet homme allait lui tenir la jambe pendant une bonne demi-heure. C’était
pile le type d’homme sur lequel on s’attendait à tomber dans une expo comme
celle-ci. Petit pull rose sur les épaules, petite chemise, derniers boutons
défaits laissant entrevoir une magnifique toison pectorale, des mocassins, des
lunettes rondes en crocodile et une coupe de champagne à la main. Cet homme portait
le cliché jusqu’à arborer des cheveux poivre et sel. Pas juste gris, non.
Réellement poivre et sel. Il se demanda même si ce n’était pas une teinture.
Les stéréotypes existent bel et bien et ça l’étonnait à chaque fois. Il aurait
décrit cet homme à quiconque qui ne l’avait jamais vu, on se serait moqué de
lui en disant de cesser ses caricatures grossières. Ma main à couper qu’il avait
un bichon maltais.
« Alors ? Que pensez-vous
de ce tableau ?
Il ouvrit la bouche pour essayer de
formuler une réponse mais sur le moment ses neurones étaient en grève. Il fut
quitte pour une imitation très correcte d’une carpe en dehors de l’eau.
« Oui, je suis d’accord, c’est
saisissant n’est-ce pas ? La force du poignet retranscrite dans ce trait,
la colère vindicative - je dirais même « engagée » ! N’ayons pas
peur des mots ! – dans les tonalités de couleur utilisées… Non,
clairement, tout dans ce tableau laisse entrevoir la détresse de l’artiste, son
envie de se libérer de ses chaines, de casser les codes…
Il referma sa bouche et continua de
fixer le tableau. L’homme à côté de lui continua de déblatérer sans trop se
soucier de savoir si il été écouté ou non. Si on devait être sincère, le
tableau n’était pas moche. Il était même joli à bien regarder. Mais utiliser
l’expression « colère vindicative » pour le qualifier, fallait pas
non plus pousser mémé dans les orties.
Les tableaux de cette exposition
étaient tous à vendre. Ce dernier ne faisait pas exception et son prix, affiché
de façon très discrète mais lisible à des kilomètres, équivalait à deux ou
trois fois le PIB du Ghana. Une petite gommette rouge à côté de la toile
indiquait qu’elle avait déjà était vendue. La « détresse de
l’artiste », hein ? Dans ce même pays, il y a des familles avec trois
enfants qui sont incapables de s’acheter de quoi bouffer les derniers jours du
mois parce qu’ils n’ont plus de fric, je préfère le rappeler. Lui, en plus de
ça, il avait aussi eu l’opportunité d’aller en Afrique pour son boulot, soudoyer
des despotes, et il l’avait vu, la vraie détresse, celle des camps de réfugiés (à
travers les vitres de son 4x4 blindé). La « détresse de l’artiste »…
Sérieusement. Il pourrait arrêter de peindre pendant les trois prochaines
décennies qu’il s’en sortirait encore mieux que les trois quart de la
population mondiale.
« … et puis, regardez dans le
coin en haut à gauche, avez-vous remarqué ces trois points blancs sur la toile
blanche ? C‘est justeme-
Il le coupa et lui demanda si
c‘était lui qui avait acheté la toile.
« Bien évidemment ! Je –
Il lui arracha sa coupe de
champagne des mains, la siffla d’un trait et sorti de l’exposition. Une cage
dorée uniquement remplie de connards et aucun petit cul à mater. Il avait gâché
son samedi.
Il rentra chez lui sur les coups de
16h. Trop tôt pour lancer le rituel cuisine-bouffer-vaisselle-branlette-dodo
mais trop tard mais pour faire quoique ce soit de productif. Rincé par sa
sortie culturelle de la journée, il s’affala sur son canapé et alluma la
télévision. Il la bloqua sur les infos en continu et en boucle de BFM et
s’abrutit de la sorte jusqu’à ce que sa faim supplante sa flemme.
Il ouvrit son frigo pour le trouver
désespérément vide. Ce frigo résumait l’histoire de sa vie. On le voit de loin,
plein de promesses, on s’approche, il s’ouvre, lumineux aux premiers abords,
puis on s’aperçoit qu’il n’était qu’une coquille vide. On lui claque donc la
porte et on commande un chinois.
Son ex avait pété un câble quand il
avait gueulé que si elle ne le trouvait pas assez bien, elle n’avait qu’à se
barrer pour aller sucer la petite queue de son pote chinois.
« Il n’est pas chinois, il est
coréen, espèce de connard de raciste ! ».
Toujours est-il qu’elle avait fini par
aller lui sucer sa petite queue. Et lui s’était retrouvé seul.
Mais bon, mieux faut être seul que
mal accompagné, n’est-ce pas ? Hein ? Il se le répétait tel un mantra
mais il n’était pas convaincu. Se foutre sur la gueule et critiquer les défauts
des autres est parfois plus agréable que de se regarder dans le miroir.
Heureusement, le livreur arriva
vite et il avala ses nems encore plus rapidement.
Vu qu’il n’avait pas fait la
cuisine, il n’y avait pas de vaisselle à faire. Il jeta donc les déchets
plastiques de la livraison, éteignit la télé et passa donc directement au point
suivant de son rituel. Pas besoin de vous faire un dessin. Plongé dans ses
pensées, il n’avait pas entendu le coït quotidien de ses voisins et décida donc
d’utiliser son portable et sa wifi pour pallier au manque de stimuli auditif
que lui demandait habituellement ce genre d’activités. Son affaire finie, il
partit se coucher en espérant de trouver le sommeil avant 3h du matin.
…
…
…
…
… Allongé dans son lit. Sur le ventre. Vessie écrasée contre le matelas. Envie
de pisser…
…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire