La constellation du Crabe

C'est une belle soirée d'été.

Ils sont tous là. Même ceux qu'ils avaient perdus de vue. Même les Solitaires. Même les Marginaux. Même les Laissés-pour-compte. Réunis pour une nuit. 

Tout le monde sait que l'Union Sacrée ne survivra pas jusqu'au lever du Soleil. Mais pour l'instant personne n'en a cure.
Profitons de l'instant avec eux.

Ils sont beaux. Ils se savent mortels mais se sentent immortels et c'est bien tout ce qui importe. Ils sont sur le point de vivre un instant magique. Le premier de la sorte pour beaucoup. Ils ne le savent pas encore. Certains s'en rendront compte le lendemain matin, d'autres dans 10 ans. Enfin, la plupart oublierons jusqu'à l'existence de cette nuit si radieuse.
Cela a toujours été ainsi.
Les plats sont amenés sur les tréteaux et le grand Feu de joie a été allumé. Ce Feu dans lequel brûle à pleine brassées des pages et des pages de leur innocence. Beaucoup d'entre-eux dansent autour du Feu pendant que d'autres, des garçons surtout, s'amusent à sauter au travers. Sans le savoir ni le vouloir, ils perpétuent ici un rituel sacré, se transmettant de génération en génération sans que personne n'en ai jamais évoqué la substance. Eux-même n'en parlent pas. Ils font ce qu'ils ont à faire. Comprendre ce qu'ils célèbrent, ce qu'ils ressentent, cela briserait l'Enchantement.
Frappons dans nos mains, mangeons, dansons, buvons !

Le Soleil a décliné dans le ciel puis est parti. Les Ombres s'allongent et la Lune se fait attendre.
Je t'en prie ma Belle. Viens et éclaire-les de ta lumière opalescente. Ils le méritent.

Jusqu'alors ils ne formaient qu'une seule et même entité. Sans volonté propre, guidés seulement par des instincts ataviques. Ils ne formaient qu'un seul et grand tourbillon de couleurs qui, dans son mouvement, ne donnait à voir à l’œil qu'un Blanc de la plus grande pureté. Mais la Magie du moment s'épuise.

Le tourbillon s'épuise. Des subjectivités commencent... nonDes Personas commencent à colorer ce maelstrom. Peu d'entre-eux possèdent déjà leur propre couleur, leur propre Persona. La plupart ne sont encore que des miroirs à facettes, ne donnant à voir d'eux que des couleurs réfléchies, pâles reflets d'une réalité qui n'est pas la leur, bien qui le souhaiterait.
Ainsi, peu de Personas réussissent à ressortir du flot continuel du temps et des gens. Et ceux qui n'en possèdent pas s'agglutinent autour de ceux visibles, leurs miroirs procurant au tout un aspect brillant.
Est-ce la peine de te mettre en garde ? Tout ce qui brille n'est pas d'Or.

Ils sont redevenus uniques en leur sein. Ils ont regagné leur volonté propre. Les Ombres les obligent à user de leurs instincts de survie. Ils n'ont plus qu'à choisir un Persona et se ranger sous sa bannière.

La Lune est enfin là, mais il est trop tard.

Trois Personas ont vu le jour cette nuit-là. Deux dues à des Maîtres uniques et une due à Trois personnes.

Lorsque l'émergence d'un Persona n'est due qu'à une seule personne, ce dernier fait rarement dans la nuance. Et indubitablement, sa couleur vive attire. Alors ils se dirigent vers lui, tels des insectes guidés par la lumière d'un soleil... sans voir que ce soleil est artificiel et que l'atteindre signifie s'y brûler.
Certains d'entre-eux le savent bien, mais à quoi bon lutter ? Suivre le mouvement, rester avec le plus grand nombre, c'est contribuer à préserver l'Union Sacrée, non ?
Non. L'Union Sacrée n'est plus dès lors qu'il faut choisir d'y participer.

Le Polypersona, quant à lui, possède une clarté bien plus ténue que les deux autres. Peu l'ont aperçu et personne n'a voulu s'y intéresser. Mais il ne faiblit pas, ne clignote pas. Le mélange de teinte qu'il donne à voir est beaucoup plus apaisant.

Ceux qui se sont ralliés au Persona Gris ont atteints les sous-sols et écoutent le Maître Gris. Il se montre sûr de lui, les rassure et tente, par tous les moyens, de faire renaître l'Enchantement vécu par tous aux prémices de cette nuit. Malheureusement, ce qu'il fait n'est pas de la Magie, mais de la Sorcellerie, de la Nécromancie. Des Arts interdits. 
Le Maître Gris sait qu'il a perdu le contrôle, qu'il ne l'a jamais eu. Il a peur, il ne sait pas ce qu'il doit faire. Mais il veut faire perdurer l'illusion et, plus important encore, il veut qu'on l'écoute. Il sait qu'ils l'ont suivi parce qu'il leur a promis de faire revenir la Magie. Il arrivera à tenir son rôle jusqu'au retour du Soleil. 
Seulement, il aura égaré son âme en chemin.

Le Maître Vert a été suivi par un petit nombre. Ceux qui ont compris ce qui s'étaient passé. Ceux qui ont compris que cela ne reviendra pas. Alors ils discutent. Certains tentent de s'initier à des pratiques ésotériques auxquelles ils auraient dû s'abstenir de goûter si tôt. Mais ce groupe est paisible. Calfeutrés, à l'abri des Ombres, ils regardent la Lune et attendent patiemment que le Soleil reviennent.
Ils ont conscience d'avoir perdu la Magie et ont fait la paix avec eux-même.

Le Polypersona n'a pour seuls membres que les Trois qui la compose. Mais les Trois sont indivisibles. Ils le savent. Alors la Magie revient. 
Ce n'est plus le Blanc de toute à l'heure, bien sûr. Mais même ce Bleu Nuit leur convient. Alors ils tissent de leurs voix ce cocon qui leur servira de remparts contre les Ombres. Ils savent que s'ils peuvent protéger un peu de cette Magie jusqu'à l'Aube, alors la Magie continuera à vivre en eux.
Alors ils tissent de leurs voix ce cocon.

Et les Trois admirent la constellation du Crabe.

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